Cher Monsieur Legault, permettez que je ne vous appelle pas François et que je ne vous tutoie pas. Nous ne sommes pas familiers, et je vouvoie les gens que je respecte. Je sais que vous aimez afficher une certaine proximité avec vos concitoyens. Le fait que plusieurs voient en vous une figure paternelle n’est pas pour vous déplaire. Mais si vous êtes le père de la nation, l’idée d’appeler mon père par son prénom me rebute.

Donc, monsieur Legault, novembre s’achève et aura été difficile, vous en savez quelque chose. Il fait sombre, l’humeur du Québec est chagrine et colérique. Nous vivons ce deuil insoupçonnable : ce soir, on pleurera Karl Tremblay, notre Cowboy magnifique, au Centre Bell. Nous avons mal aux yeux et à l’âme à force de regarder le Proche-Orient se déchirer. Les parents sont déjà à bout de souffle, les patients qui devaient être hospitalisés sont inquiets, et les travailleuses et travailleurs du secteur public remontés, exaspérés de ne pas être reconnus à leur juste valeur. Votre ministre Eric Girard a eu le culot de présenter comme étant l’idée la plus distrayante de l’année deux matchs préparatoires de la LNH à Québec, aux frais des citoyens dont certains ont faim et font la file le mercredi soir à la banque alimentaire. Novembre est sombre et nos humeurs sont grises. Visiblement, vous n’y échappez pas, vous non plus…

La semaine dernière, un sondage plaçait votre parti derrière le Parti québécois (PQ), une première historique depuis votre arrivée au pouvoir en 2018. Ce fut un coup de théâtre politique. Martin Koskinen, votre conseiller, a certainement dû vous rappeler que nous sommes encore à trois ans des élections générales, que les choses peuvent, vont se replacer. Mais vous savez tous que c’est un coup de semonce important. Votre réaction fut tout sauf celle d’un PM en contrôle de la situation. Et en même temps, tellement québécoise : « Les Québécois sont fâchés contre moi… »

Les Québécois sont fâchés contre vous ! Revenons-y, monsieur Legault. Car tout, dans cette réaction émotive, cloche.

D’abord, ce bon vieux réflexe : l’idée que si l’on reconnaît son tort, il est pardonné, effacé ! Non, monsieur Legault. Votre gouvernement ne nous a pas fâchés. Nous ne sommes pas choqués contre vous. Nous sommes juste stupéfaits, déçus, interloqués, excédés. Le prendre personnel ne changera rien. C’est votre défaut. Vous incarnez tellement la CAQ, vos interventions paternelles lors de la pandémie ont engendré un quasi-culte de la personnalité, que vous confondez l’action du gouvernement avec vos émotions personnelles.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault lors de l’annonce officielle du lancement du projet de méga-usine de cellules de batteries de Northvolt au sud de Montréal, en septembre dernier

Ce qui fâche, comme vous dites, est l’accumulation de décisions contestables : l’usine suédoise de batteries pour perpétuer le modèle « chacun son char », le sous-financement des transports en commun, les augmentations de salaire des députés, le système de santé cassé, l’éducation itou, l’attribution de l’avenir du transport structurant de Québec à une filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec, votre parfait désintérêt pour l’environnement alors que la planète agonise… Vous marchiez sur l’eau pendant la pandémie, mais votre gestion actuelle et votre vision de l’avenir sont déficientes. C’est ça qui est choquant.

Ensuite, le ton sur lequel vous dites « les Québécois sont fâchés contre moi ». Vous nous infantilisez. On n’est pas dans une réunion de famille, awingnahan ! On est dans l’ingénierie de l’État. Toujours cette idée que la remise en cause, la dissidence sont de la chicane, et que la chicane, ça fait de la peine à la famille… Pouvons-nous grandir et laisser tomber la psycho pop et le ressenti dans les communications gouvernement-citoyens ?

Donc, si on résume, les Québécois seraient fâchés, puisque certains répondants d’un sondage ont dit qu’ils voteraient PQ plutôt que CAQ. Ce qui vous peine, je n’en doute pas. Mais ce n’est pas comme si vos conseillers et vous ne l’aviez pas vu venir à coups de sondages internes.

Tous les analystes concluent que beaucoup d’électeurs péquistes passés à la CAQ regrettent aujourd’hui votre gouvernance et rentrent au bercail. Mais ça dit aussi que la figure et la manière humbles de Paul St-Pierre Plamondon séduisent. Il parle au NOUS plutôt qu’au JE. Que l’on adhère ou non aux objectifs du PQ, on sent sa direction plus collégiale. Qu’il consulte. Qu’autour de lui, il y a un team plutôt qu’une clique. Ils ont beau être quatre à l’Assemblée nationale, on sent la présence de militants de tous les âges. Ce sondage n’est ni le fruit du hasard ni une erreur, et ça vous inquiète. En ce moment, vous les collectionnez, les erreurs, et c’est le Québec qui écope.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Des grévistes de la Fédération autonome de l’enseignement faisant du piquetage, jeudi dernier

Ce que les Québécois vous disent à travers ce sondage, et les manifestations du Front commun, à travers la grogne face au sourire à 7 millions de M. Girard, est que vous avez, en ce mois de novembre, un sérieux problème d’image. Voire plus. Vous avez perdu votre flair légendaire pour vous connecter au Québec.

Votre job vous intéresse-t-elle encore, monsieur Legault ? Pour qui gouvernez-vous ? Avez-vous une vision pour notre avenir, au-delà des batteries suédoises ? En ce début d’hiver, les Québécois sont inquiets, tannés, volages, mais aussi solidaires.

Mais vous, monsieur Legault, comment allez-vous ?

Respectueusement,

Marie-France Bazzo

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