La négociation du secteur public la plus corsée depuis des lunes se poursuit.

Les écoles publiques à Montréal sont fermées depuis mardi. Jeudi, 570 000 des 610 000 travailleurs du secteur public étaient en grève, insatisfaits des négociations avec Québec.

Ils ont raison d’être mécontents. L’offre salariale de Québec est trop basse et le gouvernement va la bonifier, a reconnu le premier ministre François Legault jeudi.

Les négos portent à la fois sur les enjeux salariaux et sur des enjeux normatifs, comme l’organisation du travail. On va se concentrer ici sur la question salariale.

Qu’est-ce qui serait une entente juste et raisonnable ? Qui permettrait aux employés du secteur public de ne pas s’appauvrir avec l’inflation, reconnaîtrait leur apport à nos services publics, respecterait la capacité de payer des Québécois, et se comparerait avec ce qu’ont reçu les employés du secteur public ailleurs au Canada ?

Ce n’est pas simple, mais on a fait l’exercice afin de mieux comprendre la joute des négos au cours des prochaines semaines.

Notre proposition : 18,7 % en hausses salariales sur cinq ans aux employés du secteur public. Québec offre actuellement quelque part entre 11,8 % et 14,8 % sur cinq ans.

Les deux offres sur la table

Commençons avec les deux offres actuellement sur la table, en date du 24 novembre.

Québec offre des hausses salariales de 10,3 % sur cinq ans, plus une somme forfaitaire qui représente une hausse non récurrente de 1,5 %. On arrive donc à 11,8 %. Québec se réserve aussi une enveloppe de 3 % supplémentaire pour des hausses de salaire plus élevées et des primes pour certains métiers (p. ex. : des hausses de 30 % pour les psychologues, et jusqu’à 17 % pour les infirmières de nuit) et pour ajouter des ressources (p. ex. : aides à la classe en éducation). On ne sait pas quelle partie de ces 3 % représente des hausses salariales ou l’ajout de ressources (les aides à la classe). L’offre salariale réelle de Québec se situe donc quelque part entre 11,8 % et 14,8 %.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

François Legault en Chambre, la semaine dernière. Le premier ministre a reconnu que l’offre de Québec allait être bonifiée.

De leur côté, les syndicats du Front commun veulent que les employés de l’État conservent leur pouvoir d’achat avec l’inflation, en plus d’avoir un rattrapage salarial de 9 % sur trois ans. Ça donnerait 23 % sur trois ans. Personne dans le secteur public au Canada n’a obtenu une telle augmentation.

Un gros problème : l’inflation de 6,7 % en 2022

On part avec un gros problème : que fait-on avec l’inflation de 6,7 % au Québec en 2022 ? L’an dernier, Québec a consenti des hausses salariales de 2,4 % sur l’ensemble de la masse salariale (2,0 % pour tout le monde, plus 0,4 % pour des hausses différenciées plus élevées et des primes pour certains métiers). Si on veut que les employés du secteur public ne s’appauvrissent pas, il manque 4,3 % à accorder en hausses salariales pour rattraper l’inflation de 2022.

Québec ne veut pas octroyer ce manque à gagner au complet pour l’instant, ce qui bloque les négos sur le plan salarial. Ce n’est pas sérieux comme position de négos.

Pour suivre l’inflation : 17,7 % sur cinq ans

Combien devrait-on offrir si on veut que les employés de l’État ne s’appauvrissent pas face à l’inflation (en comptant 2022) ? 17,7 % sur cinq ans.

Selon les prévisions du ministère des Finances, l’inflation sera de 20,1 % sur six ans, entre 2022 et 2027. Québec a déjà donné une hausse salariale globale de 2,4 % à ses employés en 2022. Il faut donc offrir 17,7 % sur cinq ans pour ne pas les appauvrir⁠1.

On règle donc tout de suite à 17,7 % pour tout le monde ?

Attention, ce n’est pas si simple.

Pour les travailleurs de l’éducation et de la santé – qui représentent 85 % des employés de l’État et pour qui les conditions de travail sont difficiles –, c’est en effet le minimum afin de préserver leur pouvoir d’achat.

Pour les fonctionnaires et les autres employés de l’État (10 % des employés du secteur public), c’est moins évident. Surtout quand on regarde ce qui se fait au fédéral.

À Ottawa, Justin Trudeau – qu’on dit pourtant très dépensier – a octroyé à ses fonctionnaires des hausses salariales qui équivalent à 73 % de l’inflation prévue entre 2022 et 2024. Pas 100 %. Sauf que le fédéral n’est pas un bon point de comparaison pour l’ensemble des employés du secteur public : il n’emploie pas d’enseignants ni d’infirmières (deux domaines où la pénurie de main-d’œuvre est aiguë), et les fonctionnaires fédéraux sont déjà mieux rémunérés qu’au provincial.

Dans le secteur privé, la rémunération hebdomadaire moyenne a augmenté de 3,1 % de plus que l’inflation entre 2019 et 2022, par rapport à une hausse de 1,8 % supérieure à l’inflation dans le secteur public.

Dans le secteur privé, « contrairement à ce qu’on entend souvent, les salaires ont augmenté plus vite que l’inflation », dit l’économiste Pierre Emmanuel Paradis, président de la firme AppEco.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Selon les prévisions du ministère des Finances, l’inflation sera de 20,1 % sur six ans, entre 2022 et 2027.

L’exemple de la Colombie-Britannique

Le meilleur point de comparaison : une province comme la Colombie-Britannique qui, comme le Québec, négocie des hausses salariales communes avec l’ensemble des employés du secteur public.

Même si ça coûte plus cher, la Colombie-Britannique a fait le choix de préserver le pouvoir d’achat des employés du secteur public.

En 2022, la province a signé une convention collective de trois ans où elle leur offre environ 0,45 % de plus que l’inflation. Du 1er juillet 2022 au 30 juin 2025, la Colombie-Britannique devrait hausser les salaires d’environ 13,75 % en trois ans, soit environ 0,45 % de plus que l’inflation dans cette province⁠2.

Dans sa convention collective, la Colombie-Britannique offre des hausses qui varient selon l’inflation de l’année précédente, avec un minimum et un maximum (p. ex. : entre 5,5 % et 6,75 % en 2023-2024 ; les employés ont obtenu le maximum de 6,75 % en raison de l’inflation élevée en 2022-2023).

Si Québec optait pour l’approche de la Colombie-Britannique et voulait offrir un rattrapage salarial de 0,45 % en plus de l’inflation, il devrait offrir environ 18 % sur cinq ans.

Les syndicats demandent 23 % sur trois ans. Si on compense l’inflation prévue pour 2026 et 2027, ça donnerait 27 % sur cinq ans. C’est beaucoup plus que ce que la Colombie-Britannique, déjà généreuse, a octroyé à ses employés.

Une offre raisonnable

Notre suggestion (raisonnable) au gouvernement Legault et aux syndicats : réglez autour de l’inflation, dont le manque à gagner pour 2022. Pour maintenir le pouvoir d’achat, il faut une hausse globale de 17,7 % sur cinq ans. On propose l’inflation et un rattrapage salarial de 1 %, soit légèrement plus qu’en Colombie-Britannique. Ça donnerait des hausses salariales de 18,7 % sur cinq ans, soit 3,9 % de plus que ce qu’offre Québec actuellement.

C’est une question de principe : dans le contexte actuel, considérant l’importance de nos services publics et les difficultés de rétention de personnel, on ne peut pas régler sous l’inflation.

Chaque tranche de 1 % de plus coûte 600 millions par an. Notre solution coûterait environ 2,3 milliards de plus par an lors de la dernière année, en 2027-2028. À titre de comparaison, la dernière baisse d’impôts de la CAQ représente 1,9 milliard cette année-là.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

L’hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval. Dans le cadre de l’actuelle négociation, Québec se réserve une enveloppe de 3 % supplémentaire pour des hausses de salaire plus élevées et des primes pour certains métiers, notamment en santé et en éducation.

Attention, tous les employés du secteur public n’auraient pas une hausse de 18,7 %. C’est une moyenne globale. Québec fait bien de se garder une partie de la hausse pour des offres salariales différenciées selon ses priorités, en santé et en éducation notamment. (L’ajout de ressources comme les aides à la classe est une excellente idée, ça améliorera les conditions de travail des profs, mais ce n’est pas une hausse salariale et ça ne peut pas compter ici.)

Selon notre proposition, tout le monde aurait au minimum 16,7 % sur cinq ans. Et Québec ajouterait 2 % pour des primes et offres différenciées pour certaines catégories d’emplois.

Ce qui est aussi important que le salaire

Réglera-t-on à 16 %, 18 % ou 20 % ? C’est évidemment une question importante.

Mais le reste de la négo, qui porte sur l’organisation du travail, est aussi important que la question salariale. En échange de hausses salariales, le gouvernement Legault doit obtenir des aménagements importants sur l’organisation du travail pour rendre les services plus efficaces.

Tout le monde y gagnera. L’employeur. Les employés du secteur public. Mais surtout, les Québécois.

1. Une autre façon plus simple de calculer l’inflation : se baser sur l’inflation de l’année précédente, comme le fait la Colombie-Britannique. Pour le Québec, ça donnerait une inflation de 18,1 % de 2022 à 2026 (pour calculer les salaires de 2023 à 2027).

2. L’inflation est toujours celle de l’année précédente.