En réunissant Monique Simard et Monique Jérôme-Forget le temps d’une discussion sur la grève du secteur public, je m’attendais à des flammèches.

Même si elles n’ont jamais négocié l’une contre l’autre, ces deux femmes de tête ont connu de l’intérieur les grandes négociations publiques, et dans des camps opposés : Monique Simard comme leader syndicale, Monique Jérôme-Forget comme présidente du Conseil du trésor.

J’ai trouvé mes deux interlocutrices étonnamment en accord sur plusieurs points. Toutes deux voient une lutte féministe dans le bras de fer qui se déploie actuellement. Et toutes deux utilisent le qualificatif « historique » pour décrire le climat d’ébullition actuel.

« Une négociation s’inscrit toujours dans un contexte social et économique donné, rappelle Monique Simard. Et là, on est dans un contexte de ras-le-bol, d’inflation, de crise du logement. »

« Monique a raison, il y a beaucoup de colère en ce moment. Les enseignants laissent le métier parce qu’ils trouvent ça trop dur », souligne quant à elle Monique Jérôme-Forget.

Ce que j’ignorais avant de les réunir, c’est que les deux Monique sont aujourd’hui amies. Des séjours à Saint-Donat et un amour commun pour le cinéma et la culture ont fait croiser leurs chemins. Une admiration mutuelle a scellé les liens.

Cette amitié a permis une discussion franche, souvent drôle, durant laquelle les enjeux de la négociation actuelle se sont allégrement mélangés aux souvenirs des négos passées.

Les infirmières et les enseignantes

Fait intéressant, les deux Monique s’entendent aussi pour dire que deux groupes en particulier joueront un rôle crucial dans le déroulement de cette grève.

« Il faut bien voir qu’il y a des groupes stratégiques. Les infirmières en sont un, les enseignantes du primaire et du secondaire en sont un autre. Une école ne peut pas fonctionner sans profs, un hôpital ne peut pas fonctionner sans infirmières. C’est aussi simple que ça », dit Monique Simard.

Monique Jérôme-Forget est d’accord, au point où elle estime que le gouvernement ne devrait pas hésiter à offrir davantage à ces groupes qu’aux autres.

« Je sais que le gouvernement a ouvert la porte à reconnaître certains secteurs névralgiques et stratégiques importants et de les sortir du cadre de l’entente. Je suis d’accord avec ça. Moi, je ne l’ai pas fait à l’époque et, sincèrement, je le regrette », dit Monique Jérôme-Forget.

Monique Simard admet que ce genre d’approche cause tout un casse-tête aux syndicats.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Monique Simard, ancienne vice-présidente de la CSN, occupe actuellement le poste de présidente du conseil d’administration du Quartier des spectacles.

Faire accepter ça… Écoute, moi, les plus grandes batailles que j’ai eues dans ma vie, ce n’est pas à la table de négociation avec le patron. C’est entre les différents groupes syndicaux !

Monique Simard

Elle croit d’ailleurs que c’est ultimement ce qui pourrait faire éclater l’unité des nombreux syndicats.

« Ça peut se fragiliser dans la mesure où un groupe décide de régler avant les autres à ses conditions », estime-t-elle.

À ce sujet, Monique Jérôme-Forget observe qu’une présidente du Conseil du trésor a beaucoup plus de latitude que ne peut en avoir une leader syndicale.

« Avec mon négociateur, c’était pas mal moi qui étais en charge. Je n’avais pas tant à consulter Pierre, Jean, Jacques. Oui, il fallait parler au ministre de la Santé, au ministre de l’Éducation. Mais je n’avais pas l’odieux d’aller chercher des appuis de la base », dit-elle.

Est-ce à dire que l’avantage est au gouvernement dans cette négo ? Pas du tout. Tant Monique Jérôme-Forget que Monique Simard jugent que la sympathie du public va aux employés de l’État, en tout cas pour le moment.

Les deux femmes affirment par ailleurs que cet appui du public n’est pas surestimé et qu’il est absolument crucial dans une telle négociation.

La nécessaire recherche du compromis

Devant ce déficit de sympathie du gouvernement, que ferait Mme Jérôme-Forget si elle était aujourd’hui présidente du Conseil du trésor ?

« La première chose, c’est que je dirais à mon collègue ministre des Finances : peux-tu arrêter tes subventions aux clubs de hockey ? répond-elle en riant. Parce que sérieusement, ça envoie toute une distorsion dans le discours. »

Elle juge aussi que consentir des hausses salariales de 21 % sur cinq ans aux policiers de la Sûreté du Québec (l’entente de principe a été refusée à ce sujet) et offrir des baisses d’impôt aux Québécois ont aussi miné la crédibilité et le capital de sympathie du gouvernement.

Ni Monique Simard ni Monique Jérôme-Forget ne savent comment se termineront les négociations. Mais elles rappellent une chose : toute entente est un compromis et l’ouverture devra être présente de chaque côté.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Monique Jérôme-Forget, ancienne présidente du Conseil du trésor, est aujourd’hui conseillère spéciale au bureau montréalais du cabinet Osler, spécialisé en droit du travail.

On parle de services publics auxquels les citoyens ont droit. Les syndicats et le gouvernement ont l’obligation de s’entendre.

Monique Jérôme-Forget

L’ancienne ministre libérale incite tous les intervenants à « ne pas se prendre pour d’autres ».

Monique Simard, elle, place beaucoup d’espoir dans l’arrivée d’un conciliateur dans la négociation et invite chaque camp à penser à une voie de sortie honorable pour l’adversaire.

Il ne faut jamais, jamais faire perdre la face aux autres.

Monique Simard

Les risques de la personnalisation

Un moment cocasse de la discussion survient lorsque Monique Simard dénonce la « personnalisation » de la négociation par l’actuelle présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel.

« Ce matin, j’entendais à la radio Mme LeBel dire “je, je, je”. J’avais le goût de lui dire : arrête ! Ça ne donne rien. Tu fais juste personnaliser les enjeux autour de toi et te faire diaboliser comme personne ! », lance Monique Simard.

« C’est peut-être vrai qu’elle l’a trop dit, je ne l’ai pas entendue », répond Monique Jérôme-Forget.

Mais je dois te dire, Monique, que la négociation que j’ai faite, c’est moi qui la portais. J’étais très identifiée à la négo. C’était moi qui allais à la télévision, c’est moi qu’on critiquait. C’était également très personnalisé.

Monique Jérôme-Forget

« Monique ! Toi, c’était la sacoche ! C’est vrai que c’était dur, mais tu avais quand même une capacité d’autodérision par moments. Tu n’as jamais été diabolisée autant que d’autres. »

Pour les jeunes lecteurs, sachez que l’image de la fameuse « sacoche » a longtemps suivi celle qui gérait les deniers publics de la province.

« Ah ça, c’est vrai que j’ai toujours ri de moi, convient Monique Jérôme-Forget. Ils m’ont fait des caricatures, je t’assure, tout à fait éloquentes. Et j’en ai fait des posters ! »

Qui est Monique Simard ?

  • Négociatrice à la Fédération des affaires sociales de 1973 à 1976 et à la Fédération des travailleurs du papier et de la forêt de 1976 à 1979.
  • Responsable du dossier de la condition féminine à la CSN de 1979 à 1983.
  • Première vice-présidente de la CSN de 1983 à 1991.

Qui est Monique Jérôme-Forget ?

  • Présidente du Conseil et directrice générale de la Commission sur la santé et la sécurité du travail (CSST) de 1986 à 1990.
  • Présidente du Conseil du trésor et ministre des Finances dans le gouvernement libéral de Jean Charest dans les années 2000.
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