C’est aujourd’hui que commence un vaste mouvement de grève dans le secteur public, du rarement-vu. Il ne s’agit pas de grèves sauvages : elles ont été télégraphiées longtemps à l’avance par les syndicats.

Mardi, mercredi et jeudi : le Front commun (420 000 syndiqués FTQ, CSN, APTS et CSQ) va débrayer. Secteurs touchés : les écoles, les hôpitaux, les services sociaux. Ces trois jours de grève sont le prélude à une grève générale illimitée.

Jeudi et vendredi, les syndiquées de la FIQ (infirmières, inhalothérapeutes, etc.) vont débrayer (80 000 membres).

Et jeudi, ce sera le début d’une grève générale illimitée pour les 66 000 membres de la FAE, un syndicat de l’enseignement.

J’ignore ce qui va satisfaire le leadership syndical des différents syndicats. Il est clair que les offres du gouvernement, jusqu’à maintenant, sont jugées insuffisantes, pour ne pas dire insultantes.

Ça fait des années que je couvre des dossiers en santé, en services sociaux et en éducation. Des années que je parle à des enseignantes, à des infirmières, à des travailleuses sociales et à toutes sortes de salariés du secteur public pour des chroniques et des entrevues à la radio.

Et je veux dire ceci : on n’a pas idée du ras-le-bol et de l’épuisement qui sévissent dans le public. Or, on ne peut pas dissocier ces votes de grève de l’automne 2023 de l’épuisement dénoncé depuis des années.

Voter pour la grève, c’est se faire mal. Peu de syndicats ont des fonds de grève qui permettent de payer les factures sans mal de tête. La FAE, par exemple, n’en a pas. La présidente Mélanie Hubert a prévenu ses membres : faites-vous votre propre coussin de grève.

Et malgré le tracas financier inévitable d’un débrayage, les syndiquées de la FAE ont voté pour la grève. Chaque jour sur le trottoir sera un jour de salaire perdu.

Si on est farouchement antisyndical, on peut pester et dire que ces syndiquées se tirent dans le pied. C’est un point de vue.

Mon point de vue : les enseignantes en ont assez, tellement qu’elles sont prêtes à perdre du revenu pour passer le message. La grève est l’expression d’un malaise qui dure depuis longtemps.

L’épuisement et le ras-le-bol de beaucoup d’employés du secteur public sont liés à l’organisation du travail et au manque de ressources. L’exemple type : l’enseignante qui doit composer en classe avec une masse critique d’élèves en difficulté, ce qui alourdit sa tâche et qui finit par l’épuiser.

Je ne sais pas si la négo actuelle va apaiser la tâche de cette enseignante. Je l’espère, même si j’ai de gros doutes. Ces doutes que j’exprime ne sont pas une salve contre son choix de voter pour la grève.

Je comprends cette enseignante d’avoir décidé en son âme et conscience que la grève est un moyen légitime d’envoyer un message au gouvernement. Tant qu’à m’épuiser, vous allez au moins me donner une hausse salariale qui amortit l’inflation…

On peut étendre ce raisonnement aux autres syndiqués.

Je reviens sur mes doutes, quant aux problèmes d’organisation du travail et de manque de ressources dans le système. L’État et les syndicats sont dans le « crunch », en bon québécois. C’est la dernière ligne droite. Des médiateurs seront nommés, des journées de négociation ajoutées et en filigrane, les sondeurs vont sonder pour savoir qui a la sympathie du public… 

Et s’il n’y a pas d’entente en négo, il y aura loi spéciale.

Ma crainte, c’est que ce dernier sprint de négos dans l’urgence ne va pas régler les problèmes d’organisation du travail et de manque de ressources dans le secteur public.

Ma crainte, c’est qu’on va régler le salarial, point.

Je cite un haut gestionnaire du système de santé, qui m’a résumé ses craintes, que je fais miennes : « Le Conseil du trésor ne gère pas des services, il gère des sommes et des enveloppes. Les syndicats, eux, gèrent des membres. »

Gérer des membres ? Si vous avez un problème d’effectifs de soir et de nuit et qu’une écrasante majorité de vos membres travaillent de jour… Le syndicat n’a pas un immense incitatif à accepter des conditions de travail attrayantes pour une minorité de ses membres. C’est un exemple.

Et à la fin, dans le stress et l’épuisement d’une négo, de part et d’autre, ce qui risque de primer sera la taille du pourcentage de la hausse salariale. Pas l’organisation du travail.

La présidente du Conseil du trésor dira que cette hausse consentie de gré (par la négo) ou de force (par une loi spéciale) va augmenter « l’attractivité » du secteur public.

Et tout l’organigramme du ministère de Sonia LeBel va pousser un soupir de soulagement : le spotlight de la négo la plus difficile depuis une génération va s’éteindre… De même que la pression politique.

Les syndicats vont dire la même chose s’ils arrachent une entente négociée : ils diront que ça « valorise » le secteur public. Et ils diront qu’il s’agit d’une insulte qui déprécie le secteur public si une loi spéciale met fin à leurs grèves.

Mais dans le réel, je ne sais pas si une négociation au sommet, si loin des préoccupations du terrain, va corriger l’état absolument pitoyable des services publics dans notre demi-pays.

Des écoles aux DPJ en passant par les interventions chirurgicales et l’attente aux urgences, tout se fissure, tout craque dans les services de l’État. Les employés sont surchargés, désertent pour le privé ou tombent en congé de maladie prolongé… Et ça paraît dans la prestation de services. D’où ce mantra servi au citoyen qui se plaint de ruptures de services et de listes d’attente : « Allez au privé… »

Si ces négociations débouchent sur une amélioration des conditions de travail qui se traduiront par des services plus efficaces, j’en serai le premier ravi… 

Mais je ne retiens pas mon souffle.