(Montréal et Québec) Qu’importe s’ils doivent prendre des arrangements avec leur banque pour payer leur hypothèque, les profs de Montréal se disent prêts à se battre « jusqu’au bout » pour de meilleures conditions de travail. Une situation qu’ils jugent néanmoins « stressante », alors qu’à Québec, l’opposition presse Sonia LeBel de tenir un blitz de négociations.

À partir du moment où ils déclencheront la grève générale illimitée, les profs de Montréal, comme tous ceux affiliés à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), ne seront plus payés.

Qu’ils soient à Montréal, Laval ou Québec, ces 65 000 syndiqués n’ont pas de fonds de grève. Pourquoi ? L’Alliance des profs – comme les autres syndicats membres de la FAE – représente un seul corps d’emploi, explique la présidente de ce syndicat, Catherine Beauvais-St-Pierre.

« Si on a un fonds de grève, il ne tient pas très longtemps, parce que pendant qu’on est en grève, personne ne continue à cotiser en travaillant », dit Mme Beauvais-St-Pierre. L’idée d’un fonds de grève « revient assez périodiquement » dans les débats syndicaux, dit-elle.

Elle ne voit pas ce fonds à sec comme une faiblesse dans les négociations face à Québec.

« Au contraire. Ce n’est pas une cachette et nos membres ont voté à 98 % en sachant qu’il n’y avait pas de fonds de grève », assure Mme. Beauvais-St-Pierre.

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« Si on a un fonds de grève, il ne tient pas très longtemps, parce que pendant qu’on est en grève, personne ne continue à cotiser en travaillant », explique Catherine Beauvais-St-Pierre, présidente de l’Alliance des profs.

Une grève générale illimitée n’a pas de fin fixe. Ça reflète l’état d’esprit dans lequel les membres sont : on va se battre jusqu’au bout.

Catherine Beauvais-St-Pierre, présidente présidente de l’Alliance des profs

« On est conscients que ce n’est pas facile de se priver de salaire », ajoute-t-elle.

Voici quelles écoles seront fermées la semaine prochaine en raison des grèves

Mardi, mercredi et jeudi (21 au 23 novembre)

  • Toutes les écoles publiques primaires et secondaires
  • Tous les établissements d’éducation des adultes et de formation professionnelle
  • Tous les cégeps (mais pas les universités)
  • À noter : les garderies en milieu familial et les CPE seront ouverts

* Ces établissements seront fermés en raison d’une grève du Front commun intersyndical. Celui-ci représente 420 000 membres de la fonction publique du Québec, incluant des milliers de travailleurs du milieu de l’éducation, dont 95 000 enseignants (environ 60 % des enseignants du Québec).

À partir de jeudi (23 novembre)

Le jeudi, les grèves du Front commun intersyndical et de la Fédération autonome de l’enseignement se chevauchent.

À partir de jeudi, les écoles publiques des centres de services scolaires suivants seront fermées :

  • Région de Montréal (Montréal, Pointe-de-l’Île, Marguerite-Bourgeoys, Laval) 
  • Région de Québec (Capitale et Premières-Seigneuries) 
  • Région de l’Outaouais (Portages-de-l’Outaouais, Draveurs, Cœur-des-Vallées) 
  • Régions de la Montérégie et des Laurentides (Trois-Lacs, Val-des-Cerfs, Mille-Îles)

* Ces établissements seront fermés en raison d’une grève de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui représente environ 40 % des enseignants du Québec.

À 36 ans, Guillaume Bellavance juge la situation « stressante ». Ce prof d’histoire au secondaire craint de se retrouver en précarité financière.

« Personne ne veut prendre de prêt auprès des banques pour arriver à vivre, mais tout le monde est sur la même longueur d’onde : si on ne le fait pas aujourd’hui, on va le payer plus tard », dit-il à propos de la grève illimitée qui s’annonce.

Enseignante en 4année, Jehanne Blaise estime que cette grève est un « dernier recours » pour sauver le travail des profs. Dans les conditions actuelles, « c’est comme si on nous montrait la porte pour démissionner », ajoute-t-elle.

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Jehanne Blaise, enseignante en 4année

Les demandes syndicales « reflètent ce qui se passe dans les écoles », dit Mme Blaise. Les parents, estime-t-elle, ont bien compris que les profs manquent « de soutien, de service, de personnel » et appuient le mouvement de grève.

L’opposition presse le gouvernement à négocier

Depuis le début de la semaine, plusieurs centres de services scolaires ont informé les parents que les écoles seront fermées à compter du 21 novembre « pour une durée indéterminée ». Le spectre d’une fermeture prolongée des écoles comme celle vécue en pandémie fait craindre le pire à plusieurs, qui doivent réorganiser leur horaire en conséquence.

À Québec, les partis de l’opposition pressent le gouvernement Legault d’entamer des négociations intensives avec les syndicats.

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« Ce n’est pas normal que l’ensemble des syndicats disent qu’ils peuvent négocier sept jours sur sept et que Sonia LeBel soit aux abonnés absents », s’alarme Marwah Rizqy, du Parti libéral.

« Ce n’est pas normal que l’ensemble des syndicats disent qu’ils peuvent négocier sept jours sur sept et que Sonia LeBel soit aux abonnés absents », s’alarme Marwah Rizqy, du Parti libéral.

« Aujourd’hui, toutes les ressources sont “à boutte”. Pour vrai. Ce n’est pas juste les enseignants. […] On a un méchant problème de société », ajoute-t-elle.

La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, réplique que ses équipes et elle « ne refusent aucune rencontre ». Elle exige à nouveau une contre-offre aux tables de négociation.

« Le déclenchement de grèves, ça appartient aux syndicats. […] Maintenant, les discussions doivent se poursuivre aux tables et les syndicats doivent nous revenir avec une contre-offre en bonne et due forme en main. Une négociation ne peut se faire à sens unique », a-t-elle déclaré à La Presse.

L’annonce effectuée mardi par le ministre des Finances, Eric Girard, qui accorde 5 à 7 millions pour la visite à Québec d’une équipe de la Ligne nationale de hockey (LNH), les Kings de Los Angeles, ne passe pas inaperçue.

« Si le gouvernement décide de payer pour le hockey, pour une ligue milliardaire, il est capable de délier les cordons de la bourse et de négocier de bonne foi », affirme Ruba Ghazal, de Québec solidaire.

Tout comme Mme Rizqy et le critique péquiste en matière d’éducation, Pascal Bérubé, Mme Ghazal estime qu’une grève pourrait s’avérer inévitable si le gouvernement s’entête à « appauvrir » ses travailleurs en offrant des hausses salariales insuffisantes.

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La porte-parole de Québec solidaire en matière d’éducation, Ruba Ghazal

Quelques jours de grève, c’est moins bouleversant que le fait que des parents ont de la misère à obtenir des services pour leurs enfants.

Ruba Ghazal, porte-parole de Québec solidaire en matière d’éducation

Au sujet des offres salariales, le gouvernement réplique que son « offre globale de 14,8 %, qui représente 8 milliards de la part des contribuables, est sérieuse et à la hauteur de l’inflation projetée ».

« Ça semble inévitable qu’il y ait une grève. Sur la durée, on ne le sait pas. Tant mieux si c’est quelques jours, mais la bataille que les enseignants font, c’est pour les jeunes et pour le long terme. Elle est légitime, cette bataille-là », assure pour sa part Pascal Bérubé, du Parti québécois.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, n’était pas disponible pour une entrevue mercredi. Son cabinet nous a toutefois communiqué par courriel qu’il est « conscient de l’impact et des inconvénients engendrés sur les enfants et leurs parents ».

« On fait tout en notre pouvoir pour l’éviter en faisant des propositions sérieuses. Cependant, on attend toujours la contre-offre syndicale en bonne et due forme », dit-il.

La grève pour les profs, un congé pour les élèves

Pendant la grève du Front commun, ou advenant le déclenchement d’une grève générale illimitée par la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), les élèves du Québec retourneront à la maison comme ils partent à d’autres moments de l’année en vacances. L’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES) et la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE) ont confirmé à La Presse qu’ils n’avaient envoyé aucun mot d’ordre aux enseignants pour qu’ils donnent des devoirs et du matériel pédagogique aux élèves le temps des débrayages. « Une grève, c’est un moyen de pression ultime, et qui dit grève dit arrêt de prestation de travail complet. On veut respecter le choix qu’ils font d’être en grève », explique Nicolas Prévost, président de la FQDE. Par ailleurs, la présidente de l’AMDES, Kathleen Legault, précise que les profs qui ne seront pas en grève en début de semaine prochaine, mais qui n’enseigneront pas, puisque les écoles seront fermées pour respecter les lignes de piquetage des autres corps d’emploi, ne feront pas la classe à distance comme c’était le cas pendant la pandémie.

Hugo Pilon-Larose, La Presse