Professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, Mélanie Dufour-Poirier s’intéresse au syndicalisme et aux relations de travail. Elle a répondu aux questions de La Presse sur la grève qui s’annonce chez les enseignants et le personnel des écoles de la province.

Vous dites que ce qui se passe au Québec en ce moment, ce sont des « luttes syndicales au féminin ». Diriez-vous qu’il s’agit de luttes féministes ?

Ce n’est pas une lutte féministe, mais c’est quand même un choix de société de ne pas valoriser dans sa pleine mesure le travail qui est accompli par ces personnes-là depuis des années, dans des conditions innommables avec très peu de ressources. Ce sont des gens qui travaillent très, très fort. C’est difficile pour moi de ne pas y voir une non-reconnaissance du travail qui est accompli par une majorité de travailleuses.

Ce que je trouve particulièrement choquant, c’est qu’on est au Québec, on est une société industrialisée, un pays développé. C’est un choix de société de ne pas rémunérer à leur juste valeur ces travailleurs qui forment les générations suivantes. Une société qui ne veut pas investir dans le salaire de gens qui forment nos enfants, je trouve que c’est un choix discutable.

Ce n’est pas juste avoir un adulte dans une salle de classe, c’est un adulte compétent qui va former des esprits qui vont être capables de continuer leur parcours scolaire dans les conditions les plus favorables possible, avec des gens contents de travailler qui se sentent reconnus à leur juste valeur. Ce n’est pas juste du salaire.

C’est un corps de métier majoritairement féminin. Les policiers [de la Sûreté du Québec] ont eu une offre à 21 % : c’est dur de ne pas faire le rapprochement.

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Croyez-vous que l’opinion publique est derrière les profs ?

Il n’y a pas une défaveur populaire. Je pense que les gens comprennent plus qu’ils ne le comprenaient à une certaine époque qu’il y a un enjeu de fond qui est puissant : toute la question de la préservation de nos services publics.

C’est sûr que ça va choquer du monde. La grève va déranger des habitudes, ce n’est pas le fun. C’est ça, des moyens de pression. Ça fait un bon moment que ça négocie et c’est fait pour ça.

Ce n’est pas la promulgation de lois spéciales qui va venir résoudre un problème de cette envergure. Même si on force les gens à revenir au travail, ils vont faire des grèves perlées, de façon informelle, peu importe.

Mais oui, je sens une sympathie dans l’opinion publique. On peut se questionner sur le caractère judicieux, ou pas, de certains choix [du gouvernement]. Quand on parle de récupération salariale des députés, ils récupéraient par rapport à qui, quand on sait qu’ils sont très bien payés ? Par contre, quand on voit le rattrapage qui serait à faire du côté du secteur public en période lourdement inflationniste…

Nombre de syndiqués qui seront en grève prochainement n’ont pas de fonds de grève. Pourquoi ?

C’est un choix organisationnel. Normalement, une portion de la cotisation syndicale va au fonds de grève ou au fonds de défense professionnelle. Chaque organisation syndicale prévoit d’en avoir un ou pas.

Un fonds de grève, c’est une police d’assurance, même si ce n’est jamais le salaire complet. C’est un outil. [Ne pas en avoir], c’est un choix qui limite les possibilités, quand on sait que le taux d’endettement est assez élevé. Si les gens sont déjà pris à la gorge, ça limite les possibilités que le conflit s’installe dans le temps. Je n’aime pas parler en termes guerriers, mais ça donne des munitions à l’employeur.

Tout le monde se demande si le conflit va durer longtemps. Vous entrevoyez quoi ?

Je ne sais pas. Je peux juste vous dire que je suis intervenue dans beaucoup d’organisations ces dernières semaines et les gens sont décidés. L’idéal, ce n’est pas d’aller en moyens de pression. Mais quand ça prend ça pour faire avancer les choses…

Je souhaite qu’il y ait suffisamment d’échanges aux tables pour dénouer cette impasse. Il faut reconnaître la pleine valeur de ces gens-là : ça presse. Je souhaite une issue qui remette de la sérénité. Sinon, les gens vont garder une amertume et aller travailler ailleurs où ils seront plus reconnus.

* Les propos de cette entrevue ont été retouchés à des fins de concision.