Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

Le jugement politique était aux abonnés absents cette semaine.

Après avoir déclaré aux Québécois que les six prochains mois seraient difficiles, après avoir averti les syndicats que « les finances étaient serrées », le ministre des Finances, Eric Girard, a changé son fusil d’épaule. Et il a annoncé, tout sourire, que le Québec allait débourser entre 5 et 7 millions de dollars pour qu’une équipe de hockey de la côte ouest américaine – les Kings de Los Angeles – vienne disputer deux matchs préparatoires sur la glace du Centre Vidéotron, à Québec.

L’annonce a provoqué une levée de boucliers, avec raison. Tout augmente et les Québécois peinent à boucler leur budget.

Comment des dirigeants peuvent-ils manquer de sensibilité à ce point ? Et être si déconnectés de la réalité et de l’opinion publique ?

Bref, comment comprendre une telle décision ?

J’en ai parlé avec Benoît Béchard, chercheur en psychologie à l’Université Laval. Il s’intéresse justement au jugement et à la prise de décisions politiques. On aimerait croire que nos politiciens prennent toujours les décisions optimales, qu’ils font preuve d’un jugement sûr lorsque vient le temps d’engager l’argent des contribuables. Les recherches en psychologie cognitive nous disent que ce n’est malheureusement pas le cas.

Face à la complexité, les êtres humains vont avoir tendance à simplifier les choses à outrance… et nos décideurs sont des humains comme les autres. Leurs croyances personnelles les influencent et brouillent parfois leur jugement. « S’ils sont placés face à trois ou quatre facteurs lorsque vient le temps de décider, ils vont utiliser des raccourcis », m’explique M. Béchard.

En d’autres mots, ils vont revenir à ce qu’ils connaissent, ce qu’on appelle des biais de confirmation ou de raisonnement.

Les déclarations de M. Girard tendent à confirmer les propos du chercheur. J’ai écouté l’entrevue qu’il a accordée au 93,3 FM, une station de Cogeco à Québec. Le ministre des Finances a expliqué qu’il avait eu l’occasion d’exprimer « à un ami » son souhait de présenter à Québec des activités liées au hockey pour attirer l’attention des dirigeants de la LNH. Or, l’ami en question connaissait le président du club de hockey de Los Angeles, Luc Robitaille. « Cette personne m’a dit : “Je vais lui en parler”, et il m’est revenu et m’a dit : “Ben là, faut aller vite…” »

Voilà, en gros, comment on a décidé de dépenser des millions de dollars d’argent public.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Infirmières de la FIQ en grève plus tôt ce mois-ci. L’annonce d’une subvention aux Kings de Los Angeles survient en plein conflit de travail entre Québec et ses 600 000 employés.

« Est-ce qu’on aime le hockey à Québec ? a lancé le ministre au micro du 93,3 pour se justifier. Moi, je suis content. » Et l’animateur d’ajouter qu’il n’avait jamais vu le ministre – un amateur de hockey – aussi souriant.

Pour expliquer cette décision pour le moins discutable, on peut aussi parler de chambres d’écho, suggère Benoît Béchard. Le chercheur fait référence à ce qui se produit quand on est entouré de gens ayant les mêmes références, qui pensent comme nous et qui nous renvoient donc une approbation de nos décisions. Ce qui pourrait expliquer que personne dans l’entourage du ministre ou du premier ministre n’ait levé la main pour dire : « Patron, je ne pense pas que ce soit une bonne idée ! »

La chambre d’écho crée chez le politicien un excès de confiance en ses propres compétences.

Benoît Béchard, chercheur en psychologie à l’Université Laval

Benoît Béchard suggère une troisième explication : ce qu’on appelle en psychologie cognitive le raccourci de disponibilité, une théorie mise de l’avant par l’économiste et psychologue Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel d’économie en 2002. « Face à la complexité de la situation, on prend une décision en fonction de ce qui est disponible en mémoire. Dans ce cas-ci, le souhait du retour des Nordiques à Québec », explique-t-il.

Or, Daniel Kehneman a établi que l’heuristique de disponibilité (c’est le terme scientifique) peut mener à plusieurs erreurs de raisonnement. Par exemple, des biais de justification de choix, des biais de complaisance et des biais d’angle mort. Ouaip…

Pour Benoît Béchard, qui a lui-même déjà travaillé comme attaché politique en plus d’être candidat pour le Parti québécois dans Bellechasse en 2017, il faut pouvoir privilégier la pensée systémique en politique. « On ne peut pas réfléchir un coup à la fois, souligne-t-il. Les décisions ne sont pas parallèles, elles se prennent de manière dynamique. Comme dans une partie d’échecs, il faut prévoir deux ou trois coups à l’avance et penser à la conséquence de la conséquence. »

L’annonce de M. Girard tend à démontrer que le ministre est loin du terrain et qu’il n’a pas pensé aux répercussions que pourrait avoir son annonce sur la négociation avec le secteur public, par exemple.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Dominique Ollivier, qui a démissionné de son poste de présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal lundi, n’a jamais reconnu ses erreurs de jugement de l’époque où elle dirigeait l’Office de consultation publique de Montréal.

Ce même manque de jugement politique, on l’a observé cette semaine de la part des dirigeants actuels et passés de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Prenons le cas de l’ex-présidente de l’organisme, Dominique Ollivier, qui a démissionné de son poste de présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal lundi. Mme Ollivier n’a jamais reconnu ses erreurs de jugement et a attribué son départ forcé aux pressions et commentaires haineux qu’elle avait reçus durant le week-end.

Pour expliquer cet aveuglement, Benoît Béchard me renvoie au livre culte (ce sont ses mots) The Logic of Failure – Recognizing and Avoiding Error in Complex Situations, de Dietrich Dörner, une sommité en psychologie. « Plutôt que de reconnaître notre manque de jugement et nos mauvaises décisions, on attribue nos erreurs à des facteurs hors de notre contrôle », observe Béchard.

Un biais cognitif qu’on observe aussi chez la successeure de Mme Ollivier, Isabelle Beaulieu, qui justifie ses dépenses exagérées par le fait que « les choses ont toujours été faites comme ça ».

Bref, l’actualité de la semaine illustre plus que jamais l’importance d’avoir des individus qui ne pensent pas tous pareil autour de la table où se prennent les décisions. Et rappelle aux politiciens et aux décideurs à quel point il est important de ne pas s’enfermer dans une tour d’ivoire si on veut gouverner de manière éclairée.

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