D’accord, la facture du tramway de Québec a doublé, passant de 4 à 8,4 milliards de dollars.

« C’est très, très cher », a dit le premier ministre du Québec, François Legault, qui détient en pratique le droit de vie ou de mort sur le projet. Si son gouvernement finance sa partie de la facture (50 %), le projet ira de l’avant. Sinon, le projet est mort.

Est-ce que 8,4 milliards, c’est « très, très cher » pour un projet de cette envergure ? Quand on regarde les chiffres de plus près, on constate que non.

Le tramway à 8,4 milliards à Québec serait une meilleure affaire que le train léger inauguré à Ottawa en 2019. Ce train léger (similaire à un tramway) a remplacé les autobus bondés dans l’axe central de transport à Ottawa (le train d’Ottawa a aussi connu des ratés techniques, mais c’est un autre sujet).

À Ottawa, la première phase du train léger a coûté 2,25 milliards pour hausser l’achalandage d’environ 11 600 passagers par jour avant la pandémie⁠1. Ça revient à 1,9 milliard par tranche de 10 000 nouveaux passagers quotidiens.

C’est ce dernier chiffre qui est le plus important dans ce débat : le coût par achalandage. Pas le coût total du projet.

Plus on attire de passagers, plus ils délaissent leur auto, meilleur c’est pour l’environnement. Mais plus le projet risque de coûter cher au départ. C’est normal.

Pour reprendre une analogie de hockey, le tramway de Québec, c’est Nick Suzuki (9 points en 11 matchs pour le premier centre du CH), et le système actuel d’autobus à Québec, c’est Jake Evans (1 point en 11 matchs pour le quatrième centre). Suzuki coûte plus cher, mais il offre de meilleures performances et reste beaucoup plus rentable qu’Evans au bout du compte.

Un ratio comparable

Selon les prévisions, le tramway de Québec amènerait 39 700 nouveaux passagers par jour à l’an 1, en 2029. Coût du projet par tranche de 10 000 nouveaux passagers quotidiens : 2,1 milliards. C’est environ le même ratio qu’à Ottawa (1,9 milliard) même si c’est une décennie plus tard, selon mes calculs à partir des données publiques de la Ville de Québec et de la Ville d’Ottawa. En comptant l’inflation entre 2019 et 2023, ça revient déjà meilleur marché à Québec.

Le gouvernement Legault a une décision à prendre : alors qu’on a des cibles ambitieuses de réduction des gaz à effet de serre (GES), veut-on du transport collectif efficace pour la deuxième ville du Québec, ou veut-on garder un système de second ordre condamné à plafonner en achalandage ?

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Québec est l’une des seules grandes villes au Canada qui dépend encore uniquement d’autobus dans son axe central.

Québec est l’une des seules grandes villes au pays (avec Winnipeg) qui dépend encore uniquement d’autobus dans son axe central. Dans le meilleur des scénarios, un service d’autobus en Amérique du Nord peut transporter jusqu’à 2000 passagers à l’heure par direction aux heures de pointe, selon Pierre-Léo Bourbonnais, chargé de cours à Polytechnique Montréal et associé de recherche à la Chaire Mobilité. Et 2000 passagers, c’est un scénario optimal, qui n’est pas possible dans tous les centres-villes.

À Québec, le Réseau de transport de la Capitale (RTC) estime qu’un service d’autobus fiable peut transporter jusqu’à 1230 passagers à l’heure par direction dans l’axe central (Sainte-Foy–Université Laval–Assemblée nationale–place D’Youville). Actuellement, on transporte aux heures de pointe jusqu’à 1100 passagers à l’heure en direction ouest.

Avant la pandémie, le RTC avait étiré l’élastique au maximum. En 2019, on transportait aux heures de pointe jusqu’à 1900 passagers à l’heure par direction, sur une capacité théorique de 1640 passagers. Les autobus toutes les trois minutes étaient trop nombreux pour les voies réservées et restaient pris dans la circulation. Ce n’est pas une façon de développer des transports collectifs efficaces.

Si on restait à 1100 passagers à l’heure, la ville de Québec pourrait peut-être se passer d’un tramway. Le problème, c’est que dans les années 2030, Québec prévoit devoir transporter sur son axe central aux heures de pointe 3500 passagers à l’heure en direction est et 2700 passagers en direction ouest⁠2. C’est impossible de transporter autant de gens avec des autobus.

Il faut donc passer à un mode de transport plus efficace et plus structurant : le tramway, qui peut transporter de 1000 à 6000 passagers à l’heure par direction (il est aussi plus confortable et plus prévisible pour les usagers). Plus on attend, plus ça coûtera cher.

Par rapport à Montréal ?

Et comment se compare la rentabilité (coût par achalandage) du tramway de Québec aux projets montréalais comme le Réseau express métropolitain (REM) et le prolongement de la ligne bleue ?

Il faut d’abord faire une mise au point importante. À Québec, on doit remplacer un réseau désuet sur l’axe central (les autobus 800 et 801) par un nouveau réseau plus efficace. La première étape d’un réseau structurant est toujours moins rentable en matière de coût par nouvel achalandage, parce qu’on doit soustraire l’achalandage de l’ancien réseau désuet.

C’est pourquoi il serait injuste de comparer le coût par nouvel achalandage du tramway de Québec avec des projets à Montréal qui se raccrochent au réseau existant du métro.

Pour comparer avec les projets à Montréal, il est plus juste de prendre l’achalandage total du tramway de Québec (71 300 passagers à jour), plutôt que le nouvel achalandage sur tout le réseau (39 700 passagers par jour). Selon cette méthode3, le tramway a un coût similaire par achalandage aux grands projets de transport collectif à Montréal et à Calgary, exception faite du REM qui est beaucoup moins cher (et d’un nouveau train léger à Edmonton, aussi moins cher).

Le tramway de Québec n’est pas « très, très cher ». Il coûte le même prix que des projets structurants de transport collectif à Montréal, Calgary et Ottawa.

S’il croit au transport collectif et qu’il est sérieux dans sa volonté de réduire les GES, le gouvernement Legault financera sa part convenue du tramway à 8,4 milliards4. Et le projet, même s’il n’est pas très populaire en ce moment, ira de l’avant.

1. Sur la base de l’achalandage d’OC Transpo en janvier 2020 par rapport à janvier 2019, quand il n’y avait pas de train léger.

2. Réseau de transport de la Capitale, Tramway de Québec : rapport d’achalandage 2022, juin 2022

3. Les coûts des projets sont en dollars échelonnés selon les années de construction (c’est ainsi que l’on comptabilise ces dépenses). Date d’inauguration des projets : 2007 pour la ligne orange à Laval, 2024 pour le REM, 2027 pour la Green Line à Calgary, 2023 pour le train léger à Edmonton, 2029 pour le tramway à Québec, 2030 pour la ligne bleue à Montréal. Nous avons ramené le coût de la ligne orange de Laval en dollars de 2023 en utilisant les chiffres de l’inflation sur la construction de la Société québécoise des infrastructures. Le coût du REM est en dollars de 2023 et 2024. Le coût du tramway de Québec est en dollars échelonnés sur les années 2023 à 2029. Pour l’achalandage du prolongement des lignes bleue et orange du métro de Montréal, nous avons pris l’achalandage total prévu pour les nouvelles stations, mais nous n’avons pas calculé le nouvel achalandage soustrait au réseau d’autobus ; idem à Calgary et à Edmonton.

4. La Ville de Québec parle d’un tramway à 8,4 milliards, et c’est rigoureusement exact d’utiliser ce chiffre. Il faut toutefois apporter un bémol quand on compare avec d’autres projets de transport collectif qui sont terminés (ex. : ligne orange à Laval) ou sur le point de l’être (ex. : le REM en 2024). Le coût de 8,4 milliards représente des dollars qui seront dépensés durant les travaux, qui iront de 2023 à 2029. Ce sont donc des dollars de 2023 à 2029. Selon notre estimation, si on ramène le coût en dollars de 2023 en tenant compte de l’inflation prévue, le coût du tramway passerait de 8,4 milliards à 7,9 milliards en dollars de 2023. Son coût par tranche de 10 000 passagers (le chiffre dans le tableau) passerait de 1178 à 1107 millions. Il s’agit de nos estimations.

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    Part du financement du tramway de Québec qui doit être payée par le gouvernement du Québec, selon le montage financier initial pour le tramway à 4 milliards. Québec paie 50 % du coût, Ottawa, 40 % et la Ville de Québec, 10 %. Au contraire de l’accueil glacial du gouvernement Legault, le tramway à 8,4 milliards a été bien accueilli par le ministre fédéral Jean-Yves Duclos. Ottawa n’a pas confirmé officiellement qu’il financerait 40 % du nouveau coût de 8,4 milliards.