À voir l’enthousiasme avec lequel François Legault a annoncé, vendredi dernier, que le nouveau PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, « travaille fort » pour préparer des annonces de nouveaux barrages hydro-électriques, on comprend pourquoi Sophie Brochu est partie.

« Préparez-vous, Michael travaille très, très fort. Il va y avoir beaucoup d’annonces pour des barrages, upgrader des barrages, de l’éolien », disait le premier ministre vendredi dernier.

Le Québec, dit M. Legault, a « un gros avantage pour faire le rattrapage économique qu’on doit faire ». Il faut donc toute cette électricité pour convaincre les grandes entreprises de venir investir dans les batteries et l’aluminium vert des futures voitures électriques.

Mais n’est-ce pas exactement ce que Mme Brochu avait appelé le « Dollarama de l’énergie » ? Un modèle de développement économique où on attire les entreprises énergivores avec notre hydro-électricité propre, quitte à bâtir toujours plus de barrages pour leur fournir plus d’électricité.

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L’ancienne PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu

Sauf que c’est un modèle de développement économique qui était en vogue il y a 30 ans et qui est le contraire de ce qu’on appelle le développement durable. Dans son plan stratégique, Mme Brochu proposait plutôt de réduire la consommation, entre autres, par diverses mesures d’économie d’énergie.

On ne s’étonnera donc pas que Mme Brochu ait démissionné. Quand une divergence de vues aussi profonde se creuse entre la PDG d’Hydro et le premier ministre, c’est la seule issue possible. La PDG d’Hydro ne peut tout simplement pas s’opposer aux vues de son unique actionnaire.

Mais une fois que cela est établi, le gouvernement se doit d’indiquer quelle est sa stratégie et quel rôle Hydro-Québec devra y jouer. Or, depuis quelques mois, c’est plutôt la mêlée générale.

Le ministre Pierre Fitzgibbon s’interroge tout haut sur un retour de l’énergie nucléaire, quitte à se faire recadrer par son premier ministre. Le même François Legault qui se dit maintenant prêt à revoir les tarifs résidentiels d’électricité, une porte qu’il refusait d’ouvrir quelques mois plus tôt.

M. Fitzgibbon a également évoqué, il y a quelques jours, la possibilité de doubler la production d’électricité par des « partenariats avec des entreprises privées », ce que le Québec a refusé depuis la nationalisation de l’électricité au début des années 1960.

Malgré toutes sortes de projets dans les cartons, on n’a pas de vision claire de la situation actuelle et de l’avenir à court et à moyen terme.

Hier encore, on nous disait que le Québec avait d’énormes surplus d’électricité qu’on allait pouvoir vendre à profit aux États-Unis. Aujourd’hui, on nous dit que c’est plutôt la pénurie qui nous guette.

C’est à se demander pourquoi on va construire une ligne de transmission vers New York – avec une longue et coûteuse section sous le lac Champlain et l’Hudson – pour y vendre des surplus qui n’existeraient plus, même si le premier ministre dit qu’on n’aura aucune difficulté à respecter le contrat.

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Des monteurs de lignes effectuent des réparations sur une ligne de haute tension d’Hydro-Québec. La société d’État souhaite toujours exporter une partie de sa production aux États-Unis.

Il y a un autre contrat d’exportation, avec le Massachusetts cette fois, qui est actuellement bloqué devant les tribunaux par des citoyens qui ne veulent pas voir de pylônes dans leur cour. Lui aussi a été signé au temps des surplus.

Devant un tableau aussi compliqué, ce serait peut-être le temps de faire une petite pause, question de savoir où l’on s’en va avec notre électricité, même si M. Legault ne voit qu’une abondance de projets économiques, qui n’ont qu’une seule chose en commun : ils auront besoin de plus d’électricité.

C’est une vision très étroite du développement économique que propose le premier ministre : « Ça va nous prendre beaucoup d’électricité et les projets qui vont être choisis, ça va être ceux qui rapportent le plus à l’économie, aux Québécois, à ceux qui veulent des jobs payantes », répétait-il vendredi.

Et, presque comme une arrière-pensée, M. Legault ajoute qu’il y aura aussi des projets « qui permettent de décarboner le Québec le plus possible ».

Mais, justement, l’aspect environnemental semble n’être qu’une arrière-pensée. On agit comme si le « tout à l’électricité » allait régler tous les problèmes, alors que l’on sait qu’une transition d’une telle ampleur exigera nécessairement d’importantes et coûteuses mesures d’adaptation.

Pour s’en convaincre, on n’a qu’à voir la grève des syndicats des travailleurs de l’automobile en cours aux États-Unis. La grève porte non seulement sur les salaires, mais aussi sur la manière dont cette industrie et ses travailleurs doivent se préparer pour la transition de la construction de voitures à moteur traditionnel vers les voitures électriques.

Cela concerne directement les syndicats puisqu’il faut beaucoup moins de travailleurs pour construire un véhicule électrique qu’une voiture à moteur traditionnel. On ne s’étonnera pas qu’ils veuillent des garanties quant à leur avenir.

Au Québec également, il y aura des gagnants, mais aussi des perdants dans la transition énergétique. Il serait rassurant de voir le gouvernement s’y préparer au lieu de laisser croire qu’on va tout régler avec de nouveaux barrages et peut-être une couple d’éoliennes.

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