L’auteur s’adresse à l’écrivaine Caroline Dawson, qui combat un cancer

Caroline,

Nous avons commencé à nous lire, il y a un an ou deux. À nous écrire. Dans la messagerie d’Instagram, mais aussi dans des vraies de vraies lettres par la poste. Des lettres où on potinait sur le milieu littéraire un peu, où on s’envoyait des fleurs parfois et où on se relançait surtout, sans complaisance.

Je t’ai demandé une fois frontalement si tu voulais écrire un essai, sur ce qui venait trop tôt chez toi. Je t’ai demandé si tu voulais écrire un essai sur la mort. Tu as dit non. Je ne t’en ai jamais reparlé. Aujourd’hui, je comprends que tu as vécu cet essai, en lisant, en continuant. Tu m’as dit une fois que tu t’identifiais à cette amie que j’évoque dans un de mes livres, une amie qui me remet en question souvent, déménagée trop loin récemment. Et quand j’irai la visiter cet été à Copenhague, je penserai à toi. Vous, ces amies qui me confrontent, qui me questionnent, qui m’aiment.

Je penserai cet été à comment certaines personnes existent puissamment, dans chaque parole, généreuse de sagesse. À comment j’ai voulu être à la hauteur de certaines personnes dans ma vie, surtout des femmes ai-je l’impression, et à combien je veux vivre à la hauteur de toi, jusqu’à la fin, Caroline. Je veux lire mes contemporains, lire des gens de partout, lire avant d’écrire, toujours, pour ne pas devenir bête et assourdissant de bombage de torse crétin.

Je pense à toi couchée, entourée de ta famille et de tes livres. J’entendais cette semaine les oiseaux chanter, pendant qu’Émilie Perreault t’interviewait chez toi pour la radio. Ils annonçaient la création d’un prix en ton honneur. Je lirai chacun des gagnants, promis, et je lirai ta voix entre les lignes. J’entends les oiseaux dans ma propre fenêtre ce matin, et je pense qu’ils ont traversé les rails du CN, de ton Plateau à ma Petite-Patrie, pour venir me saluer et surtout me rappeler que tu es là, que tu seras toujours là, en moi et en nous tous, comme le chant de la promesse d’une nation vraiment ouverte.

Écoutez l’émission d’Émilie Perreault où elle s’entretient avec Caroline Dawson

Puisque ce livre, ton livre que tout le monde a lu, se lit comme une promesse de celle qui est là, qui écoute, qui comprend, mais qui exige mieux de tous, aussi. L’un ne va pas sans l’autre. La véritable hospitalité, tu le sais trop bien, n’est pas celle d’un tapis. C’est celle d’une étreinte entre deux phrases, c’est une marche dans une ruelle, c’est un lunch à préparer avec amour pour quelqu’un d’autre que soi. C’est porter et être porté.

L’heure approche où ce sera à notre tour de te porter, et mon cœur se serre depuis mardi, il stresse de peur de ne pas être à la hauteur, mais je sais que tu as confiance en nous, que tu sais que nous en sommes capables, et nous le ferons, nous le promettons à notre tour, alors que tu tombes nous te relevons, te relèverons, pour toujours.

Tu te rappelles dans cette autre œuvre que tout le monde a vue, en tout cas ceux qui en ont les moyens puisque le théâtre vivant ne se loue pas à la bibliothèque, dans 887 de Lepage ? Il parle de viandes froides, ces reportages qu’on prépare d’avance en prévision de la disparition de gens aimés de tous. Et je pense à ces journalistes qui préparent en secret des reportages sur toi, sur tes livres, sur ton parcours et ta promesse, et je veux que cette lettre, la dernière que je t’écris peut-être, soit lue par tes yeux maintenant bien plus que par toute autre personne qui restera ensuite. Parce qu’ils existent encore, cet ici et ce maintenant de notre échange.

Tu souris. C’était la marque de nos échanges : une honnêteté sans bornes. Dans mon for intérieur, je me disais que dans ta situation le mensonge n’existait pas, parce que tu n’avais pas de temps à perdre avec ça, et ça me faisait un bien si grand, Caroline, c’est fou. Tous ces mensonges et tous ces exils qui durent trop, toute cette hypocrisie et toute cette petitesse, nous n’en avions rien à faire là-haut dans nos lettres, puisque nous savions que l’écriture existe en grande partie pour ça : arrêter de mentir. On ment toujours un peu, m’avait dit Serge Bouchard, bien sûr je sais que tu sais, il faut bien raconter quelque chose tout de même. Mais arrêter de mentir sur le cœur. Et mon cœur, chère amie, ment moins grâce à toi.

Je te souhaite non pas bon voyage, je n’aime pas cette expression pour ceux qui partent comme tu le fais. Ton voyage, tu l’as fait il y a longtemps. Je te souhaite bon retour. Je te souhaite bon repos.

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