Ils étaient sept, assis côte à côte devant les journalistes, souriants, complices. Je les ai retrouvés où je les avais laissés, il y a presque cinq mois à Cannes. Non pas sur le quai de la plage de l’hôtel Majestic, mais dans la camaraderie, les blagues sous-entendues, les tapes dans le dos et le tirage de pipe typiques d’une jeune bande d’amis soudés.

Les acteurs de Matthias et Maxime, le nouveau long métrage de Xavier Dolan, ont mis un terme à leur tournée québécoise, hier soir, avec la première montréalaise du film au Théâtre Outremont. En conférence de presse, en matinée à l’hôtel Germain, on sentait encore quasi intacte la fébrilité affichée en mai au Festival de Cannes, où le film a été présenté en première mondiale, en compétition officielle.

Un parfum de colonie de vacances pour boucler la boucle de l’aventure Matthias et Maxime, qui sera en salle partout au Québec le 9 octobre. Il y avait Xavier Dolan (le chef de file), Catherine Brunet (la confidente), Gabriel D’Almeida Freitas (le souffre-douleur), Pier-Luc Funk (le fanfaron), Samuel Gauthier (le discret), Antoine Pilon (le verbomoteur) et Adib Alkhalidey (le sage).

J’avais l’impression de les voir jouer, en direct, des scènes inédites de ce film sur l’amitié de groupe, inspiré par leurs propres liens. Se donnant la réplique pour se faire rire, s’encourager ou se chambrer. Il faut dire que Dolan leur a écrit des rôles sur mesure, même si à l’écran, ils jouent bien sûr des personnages.

« C’est l’élément le plus marquant de la fin de ma vingtaine, dit Xavier Dolan à propos de l’amitié. Le début de ma vingtaine a été caractérisé beaucoup par les voyages, les rencontres artistiques, les films qui se sont succédé à un rythme assez effréné. » 

À un moment donné, il y a quelque chose qui s’est déposé dans ma vie, et qui l’a transformée complètement, en lui apportant une forme d’équilibre, et c’est l’amitié.

Xavier Dolan

Les amitiés, anciennes et nouvelles, ont donné un « sens de l’intimité » à sa vie, confie l’acteur-cinéaste, « plus fort que le sens de l’art ou le sens du cinéma ». Il n’a pas la vie sentimentale « la plus abondante ni la plus fonctionnelle », de son propre aveu. Aussi, il considère ses amis comme sa famille. Il refuse d’ailleurs de considérer qu’il « boucle une boucle » dans sa relation professionnelle avec sa grande amie Anne Dorval, 10 ans après J’ai tué ma mère, même si elle joue de nouveau sa mère dans Matthias et Maxime.

Ses amitiés lui ont inspiré ce film doux et mélancolique, intimiste et émouvant. Une œuvre sur les tourments de l’amour qui aborde « la peur du changement et la peur de la transformation », résume Dolan. Il y incarne Maxime, jeune homme issu d’un milieu familial difficile (sa mère, dont il a la charge, est toxicomane). Il s’apprête à quitter Montréal pour un long voyage en Australie lorsqu’un baiser anodin, imposé par les besoins d’un film étudiant, trouble ses rapports avec Matthias, son ami d’enfance.

Gabriel D’Almeida Freitas interprète avec aplomb ce personnage de mâle alpha hétéro, soudainement en proie au doute alors que sa vie semble dessinée devant lui : une carrière dans un grand bureau d’avocats, une compagne stable, possiblement des enfants.

Dolan explore finement cette relation devenue ambiguë et ses répercussions sur une bande d’amis de diverses origines et classes sociales. C’est un film tout en retenue, d’une rare sensibilité, sur l’identité, sexuelle, sociale, culturelle.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Xavier Dolan, la productrice et les acteurs de Matthias et Maxime en conférence de presse hier à Montréal

L’appel des sirènes française et hollywoodienne a beau être fort depuis quelques années, après Juste la fin du monde et The Death & Life of John F. Donovan, qui mettaient en vedette des stars du cinéma international, Xavier Dolan revient aux sources avec ce huitième long métrage (en 10 ans) foncièrement québécois, où notre langue est à la fois célébrée dans toutes ses déclinaisons – et les excès de franglais de certains adolescents gentiment ridiculisés.

« Je ne considère pas qu’on massacre la langue française, dit Dolan. Il y a des niveaux de langue qui s’entrechoquent. Je pense que ça représente le Québec. Moi, ça fait des années que je me fais taxer de massacrer le français parce que je fais parler des Québécois de milieux ouvriers dans mes films. Certains m’écrivent en s’inquiétant de ce que les Français vont penser de nous. Une langue bouge et se transforme. On ne veut pas la perdre, on ne veut pas la salir, mais on fait du cinéma avec des personnages. »

On ne va quand même pas inventer une langue qui n’existe pas et parler en trou de cul de poule avec des adjectifs qu’on n’a jamais entendus, pour faire plaisir à je ne sais trop qui !

Xavier Dolan

Ses acteurs semblent d’accord. « Ce sont des discussions qu’on a dans la vie. On se connaît tellement bien qu’on entend la musique des répliques », dit Pier-Luc Funk, éternel bouffon, qui a hérité de la plupart des répliques comiques du film dans son rôle d’étudiant en psychologie de Cambridge, de passage chez ses parents.

De toute manière, ce ne sont pas les critiques (de son cinéma ou de la langue de ses personnages) qui vont freiner Xavier Dolan. Il sait ce qu’il veut, et il a les moyens de ses ambitions. « Xavier a généralement tout son récit en tête lorsqu’il se met à écrire… même la bande-annonce ! Il porte tout en lui et ça sort tout d’un coup », résume sa productrice Nancy Grant.

Matthias et Maxime, de toute évidence, boucle un chapitre de la carrière déjà florissante de Xavier Dolan. Une première décennie fulgurante, passée essentiellement derrière la caméra. Une deuxième qui s’annonce encore plus variée, tant dans le fond que dans la forme ; il veut se consacrer davantage au jeu et explorer la série télé. Le début, en somme, d’une nouvelle boucle.