Chaque jour, lorsqu’il quitte le campus de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Martin Lavallière voit des automobilistes griller le feu rouge devant l’établissement.

« Les gens font leur virage, et ils sont quatre ou cinq à passer sur la rouge. Pas la jaune. La rouge. »

Un comportement délinquant, qui est de plus en plus courant, et banalisé, dit le professeur au département des sciences de la santé à l’UQAC. « Montréal, Québec, Saguenay… On nous le rapporte constamment. On a laissé se détériorer notre façon de conduire. Et le plus récent bilan routier nous le confirme. »

Au Québec, 28 715 personnes ont subi des blessures légères, graves ou mortelles dans des collisions impliquant un véhicule automobile l’an dernier. En Ontario, 25 165 personnes ont subi le même sort – alors que l’Ontario compte un peu moins du double de la population du Québec (15 millions contre 8,7 millions).

Année après année, l’Ontario a le meilleur bilan routier au Canada, suivi du Québec. Au Québec, on arrive deuxième habituellement au prorata de la population.

Gino Desrosiers, porte-parole de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ)

C’est donc dire qu’il y a 3300 collisions causant des blessures par million de personnes au Québec, contre 1680 par million en Ontario, les deux provinces plus populeuses au pays. Et les proportions sont semblables pour les années 2021 et 2020.

En Colombie-Britannique, on rapportait près de 17 000 blessés dans des collisions routières en moyenne depuis cinq ans, soit 3400 par million de population. En Alberta, avec 16 000 collisions avec blessés depuis cinq ans en moyenne, ce taux était de 3700 par million la même année.

La question se pose : les Québécois adoptent-ils volontairement des comportements qui font de la voie publique un endroit plus dangereux qu’en Ontario pour les gens qui s’y trouvent ? Ou bien sont-ils plus sujets à la distraction ?

« Tout le monde faisait des marches »

Avec les confinements de la pandémie, un bilan routier plus positif semblait pourtant à portée de main.

Le nombre de déplacements en véhicules motorisés étant directement lié à la dangerosité d’une route, la baisse du nombre de déplacements laissait présager une diminution des morts et des blessés graves dans les collisions.

Or, ce n’est pas ce qui s’est produit.

Marco Harrison, directeur de la Fondation CAA-Québec et expert en sécurité routière, a été étonné de voir que le bilan des décès avait augmenté durant la pandémie.

« C’était l’époque où les gens étaient chez eux, où tout le monde faisait des marches, dit-il. Mais le nombre des morts dans les collisions n’a pas diminué, et celui des blessés graves n’a pas diminué beaucoup. On a été surpris », dit-il.

Une étude réalisée par la Fondation pour la sécurité routière de l’American Automobile Association (AAA) a montré que la pandémie a essentiellement retiré les conducteurs prudents de la route (majoritairement des femmes), qui ont été remplacés par des conducteurs qui adoptaient des comportements plus à risque (jeunes hommes).

Par exemple, les jeunes hommes sont deux fois plus susceptibles d’envoyer des textos au volant, sont 44 % plus à risque de commettre des excès de vitesse sur les autoroutes et dans les rues résidentielles et sont 80 % plus susceptibles de griller les feux rouges. Ils sont aussi près de trois fois plus susceptibles de conduire en état d’ébriété ou sous l’emprise de l’alcool.

Une observation qui n’est pas propre aux États-Unis et qui a eu des répercussions même après la pandémie, dit M. Harrison.

« Ça confirme qu’il y a plus de comportements déviants. Dans 90 % des cas, la collision est causée par un facteur humain : elle est le résultat d’un geste posé par quelqu’un au volant. Au chapitre des décès et blessés graves, on est revenu 10 ans arrière », dit-il, ajoutant attendre de voir le bilan de l’année 2023 pour parler de série noire.

« Si 2023 a un mauvais bilan, là on est en mode désastre. Là, ça va être un électrochoc », dit-il.

Lisez « Ces excès de vitesse que l’on tolère » Lisez « Sécurité routière : hausse des morts chez les enfants à Montréal »
En savoir plus
  • 95
    Nombre de personnes tuées par des camions lourds, tracteurs routiers ou autobus au Québec en 2022. De ce nombre, 16 personnes étaient des occupants du véhicule lourd, tandis que 79 étaient des non-occupants. Il s’agit d’un bilan en augmentation.
    Source : Société de l’assurance automobile du Québec
    24,2 %
    Pourcentage des décès (95 sur 392) survenus en 2022 au Québec lors d’un accident impliquant un véhicule lourd
    Source : Société de l’assurance automobile du Québec