Le débat sur le projet de train à grande vitesse (TGV) ou le train à grande fréquence (TGF) est en train de prendre un mauvais tournant. À entendre nos politiciens, tout le monde veut d’un TGV, à condition de ne pas avoir à le payer. Et l’idée selon laquelle « pour juste un peu plus cher, on aurait un TGV » est en train de s’installer.

Évidemment, quand on n’a pas à la payer, tout le monde veut une Cadillac. Celui qui a le mieux résumé la situation est le premier ministre François Legault : « Entre un TGF et un TGV, c’est certain que ce qu’on privilégie, c’est un TGV. On trouve que c’est un beau projet qu’Ottawa pourrait financer », a-t-il dit il y a quelques jours. Le maire de Québec et la mairesse de Montréal disaient essentiellement la même chose.

Le problème, c’est qu’il faut regarder la situation telle qu’elle est actuellement avant de regarder un horizon lointain.

D’abord, le Canada est l’un des rares pays du monde où les trains de passagers n’ont pas de voies réservées. Quiconque a déjà pris un train de VIA Rail sait qu’il doit régulièrement s’immobiliser en rase campagne pour laisser passer un train de marchandises. C’est la raison de la plupart des retards fréquents des trains de VIA.

Sans ces retards constants et avec un plus grand nombre de départs – actuellement, c’est un problème plus important pour la clientèle que la vitesse –, le TGF deviendrait très intéressant pour la plupart des passagers potentiels.

Au cœur même du projet de train à grande fréquence, il y a l’utilisation et la rénovation de voies ferrées existantes, mais sous-utilisées, où les trains de passagers seront toujours prioritaires. Le gain en temps réel pour les usagers serait important.

Les projets de TGV en Amérique du Nord ont presque tous été rejetés pour deux raisons bien simples : les coûts et les délais.

Quand on voit l’inflation dans les projets d’infrastructure, on parle pour Québec-Toronto d’un projet de plus de 100 milliards de dollars. Et des dépassements ne peuvent être exclus.

Le seul autre projet de TGV en Amérique du Nord, une liaison San Francisco-Los Angeles – une distance presque équivalente à Québec-Toronto – devait coûter 33 milliards de dollars. La plus récente estimation est maintenant de 113 milliards. Les travaux, lancés en 2012, devaient être terminés en 2020, mais on parle maintenant de 2029⁠1.

On le voit, le projet de TGV pourrait mettre 20 ans à se réaliser. Avant même de commencer les travaux, il faudra prévoir des audiences environnementales dans deux provinces, ce qu’on éviterait avec le TGF puisqu’il s’agit de voies existantes.

Le TGV ne pouvant s’arrêter aux passages à niveau – il y en a des centaines entre Québec et Toronto –, il faudra prévoir autant de ponts d’étagement et de tunnels, avec toutes les autorisations environnementales, municipales et autres.

Sans oublier les expropriations. Imaginez une voie qui doit rester la plus directe possible entre Montréal et Toronto, à travers des centaines sinon des milliers d’exploitations agricoles. On n’a qu’à penser aux difficultés et délais à réaliser une voie de contournement de 12 km seulement à Lac-Mégantic.

Il convient ici de balancer de fausses bonnes idées qui circulent. Comme celle du maire Marchand d’utiliser l’emprise de l’autoroute 40 pour réduire les coûts. Sauf que le TGV exige une zone sécuritaire et clôturée très importante et qui dépasse largement l’emprise d’une autoroute. Sinon, un camion qui déraperait sur la voie ferrée un soir de verglas ou un déraillement du TGV qui ferait fermer l’autoroute – les accidents de TGV sont rares, mais ils existent – et ce serait la catastrophe.

Le train à grande fréquence ne sera pas gratuit. L’évaluation actuelle de 6 à 12 milliards de dollars est totalement irréaliste et devra être revue largement à la hausse. Mais ce ne sera quand même, à la fin, qu’une fraction du coût du TGV.

Le TGF a aussi l’avantage de pouvoir desservir de plus petites localités auxquelles le TGV ne voudra pas s’arrêter. Les Trois-Rivières, Cornwall ou Kingston de ce monde. En Europe où il y a des TGV, c’est pour cela que l’on continue à avoir des trains réguliers qui font cette desserte.

En fait, le projet comparable au TGF serait l’excellent service Acela d’Amtrak dans le corridor Boston-Washington, un train auquel on a fait un fort mauvais procès.

Grâce à ce train, Amtrak a aujourd’hui 75 % du marché des passagers payants entre New York et la capitale américaine et le trajet est d’une durée comparable à celle de l’avion, quand on compte le temps perdu aux aéroports et pour s’y rendre ou en revenir.

Le choix est entre une voiture performante, mais plus modeste, assez rapidement ou une dispendieuse Cadillac dans trois ou quatre décennies. Si, bien sûr, on trouve quelqu’un qui est prêt à payer pour la Cadillac !

1. Lisez le texte du New York Times sur le projet de TGV en Californie (en anglais)