Mirage pour certains, passage obligé vers la carboneutralité pour d’autres, le captage et la séquestration du carbone suscitent la controverse comme peu de technologies le font.

Il faut dire que la technique peut désigner plusieurs choses différentes et qu’il n’est pas simple de s’y retrouver.

Les experts s’entendent sur une chose : il faudra capter et séquestrer du carbone pour atteindre la carboneutralité en 2050 comme le Québec s’y est engagé. Éliminer toutes les émissions sera tout simplement impossible.

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Pierre-Olivier Pineau, expert en énergie à HEC Montréal

Tous les plans de décarbonation qui mènent à la carboneutralité incluent de la séquestration. C’est donc très important de développer cette technologie parce qu’elle est essentielle.

Pierre-Olivier Pineau, expert en énergie à HEC Montréal

« Il faut explorer les technologies de décarbonation. Dans le plan 2030 que nous avons publié pour le Québec, on a inclus des projets pour au moins 1 mégatonne (c’est-à-dire 1 million de tonnes) d’équivalent CO2 afin de développer une expertise », renchérit Normand Mousseau, directeur académique de l’Institut Trottier.

Une grande crainte plane, toutefois : celle que certaines industries voient le captage et la séquestration comme une façon de poursuivre leurs activités comme si de rien n’était. À la fin de novembre, l’Agence internationale de l’énergie incitait d’ailleurs à « abandonner l’illusion » selon laquelle la capture et la séquestration du carbone sont la solution à la crise climatique.

Des pétrolières qui capteraient leurs émissions de carbone, par exemple, pourraient en conclure qu’elles n’ont plus besoin de réduire leur production.

Ce serait une terrible erreur puisque le pétrole continue de polluer lorsqu’il est brûlé dans les voitures et ailleurs.

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Exploitation des sables bitumineux en Alberta. L’industrie pétrolière mise beaucoup sur la séquestration de carbone pour améliorer son bilan.

C’est pourquoi plusieurs environnementalistes ont déchiré leur chemise lorsque les récents budgets fédéraux ont consacré des centaines de millions de dollars en crédits d’impôt pour soutenir le captage et la séquestration du carbone.

En voulant capter le CO2 directement dans l’atmosphère, Deep Sky contourne ces problèmes. Le gros, gros hic : dans l’air, la concentration de CO2 est infime (0,04 %), contre 4 % à 100 % dans les rejets industriels.

Ça veut dire que pour extraire le CO2 de l’air ambiant, il faut brasser beaucoup, beaucoup d’air. Les procédés sont extrêmement énergivores… et donc coûteux (voir capsule).

Le président de Deep Sky, Frédéric Lalonde, affirme que c’est justement là l’avantage concurrentiel du Québec, puisque son électricité est propre et bon marché.

Le Québec peut devenir l’Arabie saoudite de la capture de carbone.

Frédéric Lalonde, président de Deep Sky

Capter le CO2 n’est toutefois que la première partie de l’équation. Il faut ensuite le séquestrer. Là encore, le Québec pourrait avoir des atouts. En utilisant les résidus miniers pour transformer le CO2 gazeux en roche, par exemple, Exterra affirme pouvoir opérer à un coût… négatif. C’est que la jeune entreprise compte aussi extraire de la silice et du nickel de ces mêmes résidus, qu’elle revendrait ensuite sur le marché.

Une technique plus classique de séquestration consiste à injecter le carbone profondément dans le sol afin qu’il y reste emprisonné et ne regagne jamais l’atmosphère. Le Québec a des structures géologiques qui permettraient de le faire, notamment près de Bécancour.

Martin Poirier, chercheur principal au sein de la firme de recherche Dunsky, est toutefois dubitatif devant les plans de Deep Sky.

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Dans l’air, la concentration de CO2 est infime (0,04 %), contre 4 % à 100 % dans les rejets industriels.

« Oui, il faut faire de la capture et de la séquestration. Mais pourquoi aller capter les concentrations minimes de l’air quand on a des concentrations bien plus intéressantes et bien plus faciles à capter à la sortie des industries ? », demande-t-il.

Il souligne qu’au Québec, plusieurs usines de pâtes et papiers produisent leur énergie en brûlant des résidus de bois (ce qu’on appelle la biomasse). Comme ce bois provient d’arbres qui ont capté du carbone en poussant, leurs émissions sont considérées comme nulles (les usines ne font que relâcher le carbone précédemment capté par les arbres).

Imaginez maintenant qu’on capte ce carbone relâché à la sortie de ces usines. Les émissions qui étaient nulles deviennent alors… négatives. M. Poirier croit que ça devrait être la priorité du Québec.

Alors, mirage ou solution, le captage et la séquestration de carbone ?

Ça dépend de la façon d’aborder la question.

Compter sur cette technologie pour nous sortir de l’impasse climatique au détriment d’une réduction massive de nos émissions serait une grave erreur.

Mais il semble aussi clair qu’elle aura un rôle essentiel à jouer pour atteindre la carboneutralité et limiter les dégâts climatiques. Et si bien des obstacles risquent de se dresser entre les titanesques ambitions des entrepreneurs québécois et leurs réalisations, on ne reprochera quand même pas à ces derniers de voir grand et de vouloir sauver le monde.

Un prix encore très élevé

Alors, combien ça coûte, retirer une tonne de carbone de l’atmosphère et la séquestrer ? « En ce moment, la moyenne d’achat pour la tonne négative est de 700 $ US. Si tu me donnes 10 milliards d’ici cinq ans, je vais probablement descendre ça entre 100 et 200 $ US », répond Frédéric Lalonde, de Deep Sky. C’est… très cher. Sur le marché du carbone que le Québec partage avec la Californie, par exemple, les émetteurs paient actuellement autour de 50 $ pour avoir le droit d’émettre une tonne de carbone. Mais le prix des droits de polluer est appelé à grimper. Et celui des technologies de captage et de séquestration suivra la tendance inverse. Reste à voir quel écart subsistera – et quelles ressources les entreprises et les gouvernements voudront consacrer à la réduction des concentrations de CO2 dans l’atmosphère.