« Impressionnant, non ? Toutes les montagnes, en arrière, ce sont des montagnes artificielles. »

Juché sur un belvédère, Olivier Dufresne, président de l’entreprise en démarrage Exterra, désigne l’ancien terrain de jeu de la mine Jeffrey, à Val-des-Sources.

Devant lui s’étend un trou de la taille d’une ville, en partie rempli d’eau bleu-vert. Autour, à perte de vue, des montagnes de roc concassé dénuées de toute végétation.

J’y vois la désolation, les tristes vestiges d’une industrie qui tue encore plus de 100 000 personnes par année, selon l’Organisation mondiale de la santé.

Val-des-Sources s’appelait auparavant Asbestos, un nom devenu toxique, parce qu’associé aux mésothéliomes, asbestoses et autres maladies du poumon causés par les fibres de l’amiante qu’on a extrait ici pendant plus d’un siècle.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Olivier Dufresne, président de l’entreprise en démarrage Exterra

Olivier Dufresne, lui, voit dans ces immenses tas de roche à la fois une occasion d’affaires et une solution à la plus grande menace qui pèse sur l’humanité : l’accumulation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

Son plan : utiliser le magnésium contenu dans les résidus miniers pour retirer du carbone de l’atmosphère.

L’idée vient d’une équation chimique bien simple, que je me permets d’écrire ici :

MgO + CO2 = MgCO3

En clair : l’oxyde de magnésium contenu dans les résidus miniers combiné au CO2 produit un carbonate de magnésium. Une poudre blanche, chimiquement inerte, qui reste au sol plutôt que de flotter dans l’air en créant un effet de serre.

Coup de chance : l’entreprise peut compter sur un laboratoire où elle est déjà en train de tester son procédé. Il appartient au Carrefour d’innovation sur les matériaux de la MRC des Sources, un organisme à but non lucratif notamment voué à la valorisation des résidus miniers.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Olivier Dufresne, dans les locaux du Carrefour d’innovation sur les matériaux de la MRC des Sources

Exterra prévoit construire sa propre usine de démonstration en 2025.

Exterra ne manque pas d’ambition.

« D’ici 2030, si notre plan de développement fonctionne, on prévoit avoir stocké 1 million de tonnes de CO2 au total. Puis, à partir de 2030, on vise 3,5 millions de tonnes par année », dit Olivier Dufresne, qui, en plus des résidus amiantés de Val-des-Sources, convoite aussi ceux de Thetford Mines.

Ce sont d’énormes quantités de carbone considérant qu’en 2020, le Québec entier a émis l’équivalent de 74 millions de tonnes de CO2. Un million de tonnes, cela correspond grosso modo aux émissions de 200 000 voitures à essence.

Exterra s’inscrit dans une industrie naissante, extrêmement ambitieuse et controversée : celle du captage et de la séquestration du CO2.

Une industrie qui commence à bouillonner sérieusement au Québec.

Celui qui brasse le plus d’air – au sens figuré et, peut-être bientôt, au sens littéral – est Frédéric Lalonde.

Le personnage est haut en couleur.

M. Lalonde est cofondateur et président de Hopper, créateur de l’application de voyage du même nom, dont le chiffre d’affaires frôle aujourd’hui les 7 milliards de dollars – l’équivalent de Bombardier.

Il m’a fallu des semaines pour fixer un rendez-vous avec cet hyperactif, qui, le jour venu, a changé notre lieu de rencontre plusieurs fois parce que les cafés qu’il me proposait étaient trop bondés à son goût. Nous avons terminé notre entrevue sur le trottoir, fouettés par une froide pluie de novembre et abrités tant bien que mal par un arbre (dégarni).

Hopper est un coup de circuit de l’entrepreneuriat technologique québécois. Mais Frédéric Lalonde est conscient de travailler dans une industrie très polluante.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Frédéric Lalonde a connu du succès avec Hopper, une application de voyages, qui génère un chiffre d’affaires de 7 milliards.

Il y a quatre ans, j’ai atteint un point où j’étais mal à l’aise. On plante des arbres – on a 25 millions d’arbres qui ont été mis dans le sol. Mais quand tu regardes ça, ce n’est pas assez. Tu émets du COmaintenant, mais ça prend 20 ans pour que les arbres poussent.

Frédéric Lalonde

Frédéric Lalonde a lu les rapports du GIEC. Puis les articles scientifiques qui les sous-tendent. Il me bombarde de faits et de statistiques climatiques à toute vitesse.

C’est un voyage dans la vallée de San Joaquin, une région agricole de la Californie fortement touchée par la sécheresse, qui a achevé de le convaincre de l’ampleur des problèmes.

« J’ai lu sur l’agriculture. Et j’en suis venu à la conclusion qu’on allait perdre l’agriculture de notre vivant ou du vivant de nos enfants », dit-il, évoquant justement les sécheresses et autres aléas climatiques.

Il a décidé d’agir. Puis a pris le téléphone pour convaincre d’autres de le suivre.

C’est quoi, le but de tout l’argent et des contacts qu’on a, si on est assis et qu’on ne fait rien ? Si tu as accès à des présidents de banque, si tu as accès à des ministres, il y a une responsabilité de plus qui vient avec ça.

Frédéric Lalonde

Le résultat de ses démarches est Deep Sky – la nouvelle entreprise de Frédéric Lalonde et de ses collaborateurs.

L’objectif : retirer du carbone directement de l’air et des océans. Deep Sky ne développe aucune technologie elle-même. Elle évalue celles qui se développent partout dans le monde et signe des partenariats afin de les déployer à grande échelle.

Et quand on dit grande échelle… J’avoue que la première fois que j’ai consulté le site web de Deep Sky, j’ai figé.

Des animations montrent des installations grosses comme des villes qui aspirent du carbone de l’atmosphère ou des cours d’eau. Les structures sont blanches, léchées, futuristes. On se croirait en plein film de science-fiction.

Frédéric Lalonde est-il parti sur une « balloune » ? Certains le croient (voir autre texte). Mais il faut reconnaître que l’homme est en train d’embarquer bien du monde dans son bateau.

Son équipe compte des financiers établis comme Laurence Tosi, un ancien de la banque Merrill Lynch et du fonds d’investissement Blackstone, ainsi que des scientifiques comme Phil De Luna, recruté chez McKinsey.

Deep Sky fait aussi pleuvoir les dollars. À la mi-novembre, l’entreprise a récolté 75 millions auprès d’investisseurs publics et privés. Du lot, 25 millions proviennent de la poche des contribuables québécois par l’entremise d’Investissement Québec.

  • Ce à quoi pourraient ressembler les installations de captage et de séquestration de carbone de Deep Sky.

    IMAGE FOURNIE PAR DEEP SKY

    Ce à quoi pourraient ressembler les installations de captage et de séquestration de carbone de Deep Sky.

  • Ce à quoi pourraient ressembler les installations de captage et de séquestration de carbone de Deep Sky.

    IMAGE FOURNIE PAR DEEP SKY

    Ce à quoi pourraient ressembler les installations de captage et de séquestration de carbone de Deep Sky.

  • Ce à quoi pourraient ressembler les installations de captage et de séquestration de carbone de Deep Sky.

    IMAGE FOURNIE PAR DEEP SKY

    Ce à quoi pourraient ressembler les installations de captage et de séquestration de carbone de Deep Sky.

  • Ce à quoi pourraient ressembler les installations de captage et de séquestration de carbone de Deep Sky.

    IMAGE FOURNIE PAR DEEP SKY

    Ce à quoi pourraient ressembler les installations de captage et de séquestration de carbone de Deep Sky.

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« C’est sûr qu’il y a des risques qui sont élevés là-dedans. […] On veut s’associer à un acteur qui va évaluer les différentes technologies dont le coût est encore très élevé », explique Bicha Ngo, première vice-présidente exécutive, Placements privés, chez Investissement Québec.

Notons qu’Investissement Québec a aussi investi dans Exterra par l’entremise du programme Impulsion PME. La société d’État rappelle l’importance d’atteindre nos cibles climatiques.

En plus de recruter des employés et de récolter du capital, Deep Sky signe des partenariats. Un protocole d’entente vient d’être annoncé avec l’entreprise suisse Climeworks, qui a déployé la première usine à grande échelle de captage de carbone dans l’air en Islande.

Des partenariats ont aussi été établis avec Captura (États-Unis), Mission Zero (Angleterre) et Isometric (Angleterre et États-Unis).

DeepSky a aussi une entente avec… Exterra, de Val-des-Sources. Le plan : Deep Sky captera le carbone et Exterra le séquestrera dans ses résidus miniers. Sans avoir encore la moindre usine bâtie, Frédéric Lalonde et ses collaborateurs ont déjà prévendu des tonnes de carbone retiré de l’atmosphère à des acheteurs du marché volontaire qui veulent verdir leur bilan environnemental. Et il a transféré des dollars sonnants à Exterra.

À ses détracteurs, Frédéric Lalonde a un message à lancer.

« Notre niveau d’ambition est simplement à la hauteur du problème », dit-il.

Une version antérieure de ce texte indiquait que l'entreprise Exterra espérait exploiter une usine pilote d'ici quelques années. Or, l'entreprise exploite déjà une petite usine, mais prévoit se doter de nouvelles installations plus performantes au cours de l'année 2024.