Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’auteur et éditeur Stéphane Dompierre.

L’autre jour, dans un lancement de livre, un gars me parlait, convaincu que sa conversation à sens unique m’intéressait. Sans doute que mon air songeur l’a berné. J’avais l’air de trouver ses paroles profondes, mais j’étais plutôt occupé à me poser mille questions. Est-ce que cette personne est consciente que son narcissisme est très irritant ? Est-ce son pire défaut ? Est-ce que les gens ont conscience de leurs défauts en général ? Et, si oui, cherchent-ils à les corriger, ou les entretiennent-ils ? Et comment fait-on pour s’en débarrasser ou, à tout le moins, les atténuer ? Y a-t-il un mode d’emploi ?

Je me suis renseigné. Le processus est assez clair, et un peu long, mais facile à trouver si ça vous intéresse, alors je ne vais pas m’étirer là-dessus.

Mais la base, évidemment, c’est de réussir à les trouver. Connaissez-vous votre pire défaut ? (Ceci n’est pas une entrevue d’embauche, alors inutile de répondre spontanément : « Je suis trop perfectionniste, hihihi. ») Si oui, vous faites quoi avec ? Vous tentez de le cacher ? Vous l’entretenez comme une plante délicate parce que vous trouvez qu’il n’est pas si mal, que c’est juste « un trait de personnalité » ? Et si vous gossiez tout le monde avec ça, mais que personne n’osait vous le souligner ?

Je vous révèle le mien : à la base, je crois que tout le monde est malveillant. Je prête à tous des intentions louches. Jusqu’à preuve du contraire, toute personne qui m’est inconnue est fort probablement machiavélique ou, à tout le moins, mal intentionnée.

J’ai découvert ce petit trait gossant il y a quelques semaines, la fois où j’ai ouvert le bac géant (il venait avec le duplex, on peut se cacher six dedans) pour voir si notre recyclage avait été ramassé. Sur les boîtes vides trônait une douillette bariolée qui ne nous appartenait pas. Soucieux de l’environnement, mais surtout peu intéressé à ce que les videurs de bacs me jugent, je l’ai sortie pour la mettre dans un sac poubelle.

Elle était mouillée.

Mouillée de quoi, je l’ignore. Je ne l’ai pas sentie.

C’est là que mon défaut de « prêter des intentions » débarque à grand bruit. Je ne vois qu’une explication : un voisin a mis un appartement sur Airbnb. Des gens l’ont loué pour y tourner un film porno. Ont voulu jeter la douillette cheap sur laquelle avait eu lieu l’humide performance. Ont mis ça dans mon bac et sont partis, insouciants, vers d’autres aventures.

Je suis sans doute loin de la vérité, mais ça ne m’a pas empêché, après avoir mis ce truc mouillé dans un sac poubelle, de me laver les mains pendant une heure.

Pour me guérir de ce réflexe épuisant de toujours imaginer le pire, j’essaie dorénavant d’imaginer un nouveau scénario chaque fois, mais en y insufflant de l’empathie et de l’humanité.

Un enfant, gêné d’encore s’échapper dans son lit à son âge. Il dort sur une vieille douillette, au cas. Il se réveille à l’aurore, consterné de voir qu’il s’est encore échappé. Il sort de la maison en douce et cherche à se débarrasser de la douillette incriminante. Il voit mon bac de recyclage géant. Monte sur une très haute échelle pour atteindre le couvercle du bac. Jette la douillette de la honte dedans.

Je suis sans doute encore tout aussi loin de la vérité, mais ce scénario m’irrite beaucoup moins.

Quand, en voiture, quelqu’un conduit excessivement lentement devant moi, c’est une évidence que cette personne profite de son trajet pour écrire des commentaires haineux sur Facebook sans regarder la route, se prépare à tirer des passants au hasard, ou tricote un petit chandail en laine pour l’Antéchrist qui viendrait de naître.

Alors que cette personne cherche peut-être une adresse en tentant de n’écraser personne. Je suis d’ailleurs souvent cette personne qui roule lentement en cherchant une adresse et en tentant de n’écraser personne.

Je le constate, je m’en sors plutôt bien, puisque ça se joue dans ma tête et que mon entourage ne le remarque pas vraiment. Tant qu’à faire, j’aurais presque pu dire : « Je suis trop perfectionniste, hihihi. » Je ne suis sans doute pas la meilleure personne pour cerner mon pire défaut. Je devrais peut-être plutôt demander à mes amis ou, mieux encore, à des personnes qui ne m’aiment pas la face.

Mais ça me fait un peu peur, on dirait. Ils vont sans doute me répondre qu’il est dur de choisir dans la longue liste qui leur vient spontanément en tête, me souligner que je suis acerbe, aigri, arrogant, arriviste, asocial, qu’on peut m’en trouver au moins cinq à chaque lettre de l’alphabet et que…

Bon, ça y est, voilà que je prête encore les pires intentions aux gens. Je vais continuer de travailler sur ce défaut-là, je pense. Et vous ?

Qui est Stéphane Dompierre ?

  • Stéphane Dompierre est écrivain, éditeur et chroniqueur.
  • Il a signé plus d’une demi-douzaine de romans, dont Novice, en 2022, ainsi que les recueils de chroniques Fâché noir et Marcher sur un Lego.
  • Il est directeur de la collection La Shop chez Québec Amérique.