Des militants écologistes qui grimpent sur la structure du pont Jacques-Cartier pour perturber la circulation comme cela s’est produit en 2019 ? Voilà un geste radical, ont pensé plusieurs au moment de cette action hautement médiatisée. Or, aux yeux de l’auteur de l’essai Écosabotage – De la théorie à l’action, c’est probablement doux, très doux.

À l’évocation du terme « écosabotage », pensez plutôt destruction de pipelines, interruption des activités d’une mine ou bris de machinerie et d’équipement. Comme ces militants qui, en janvier dernier, ont installé des clous sur les arbres du site de la future usine de batteries de Northvolt, en Montérégie, afin d’endommager l’équipement censé les couper. Ou ceux qui ont dispersé des engins cloutés sur un chemin pour arrêter les camions affectés au remblayage des milieux humides sur le même site.

Face à l’urgence climatique et à la crise environnementale en général, le mouvement écologiste doit passer en vitesse supérieure et renouer avec le sabotage, lequel fait partie de l’histoire des luttes politiques (les suffragettes, la Résistance française, la lutte comme le régime d’apartheid), plaide Anaël Châtaignier, dans son premier essai. Un point de vue certes radical, mais qui n’est pas nouveau. En 2021, le militant suédois Andreas Malm tenait essentiellement les mêmes propos dans How to Blow up a Pipeline, un essai qui a grandement circulé dans les cercles militants, mais que plusieurs ont aussi dénoncé pour son irresponsabilité.

Consultez le dossier « Mouvement écologique : la tentation radicale », de Marc Thibodeau

Nageant dans les mêmes eaux, Anaël Châtaignier signe quant à lui sous un nom d’emprunt, une décision que sa maison d’édition, Écosociété, explique par la répression exercée par le gouvernement français sur les militants écologistes. L’auteur revient d’ailleurs à quelques reprises sur les manifestations contre le projet de « méga-bassine » de Sainte-Soline, en France, qui ont donné lieu à des affrontements violents entre policiers et militants. Était-il sur place ? On ne le saura pas.

Ce choix de conserver l’anonymat, bien que compréhensible, fait qu’on en sait finalement assez peu sur l’auteur, sinon qu’il est français, docteur en histoire de l’art, artiste et professeur de dessin et qu’il milite au sein de différents collectifs. Quel type d’actions a-t-il menées ? Quelle expérience détient-il pour enseigner aux militants les stratégies d’attaque et la préparation d’une action ? On l’ignore.

Bien qu’Écosabotage ait l’intérêt d’alimenter le débat sur la nécessité de radicaliser la lutte écologique, son auteur lance surtout un appel à en découdre avec le capitalisme plutôt que de proposer un argumentaire précis et nuancé sur cette question centrale : la violence est-elle acceptable si elle contribue à sauver des écosystèmes et, ultimement, des vies ?

Il s’aventure aussi sur un terrain glissant en enseignant aux militants l’art du sabotage sans insister sur les risques judiciaires auxquels ils pourraient s’exposer ; le vandalisme, même commis au nom de la préservation de l’environnement, étant considéré comme illégal.

Pour Anaël Châtaignier, il est clair que le sabotage doit s’inscrire dans une diversité de tactiques, au même titre que les procédures judiciaires, les manifestations et la désobéissance civile, car pour lui, « la non-violence sert à convaincre plutôt qu’à vaincre ».

Jusqu’où aller dans le sabotage ? Heureusement, il apporte une nuance importante. Ce type d’action doit viser exclusivement les biens matériels et les infrastructures et surtout ne pas mettre en danger physiquement ou psychiquement des personnes. L’écosabotage doit être ciblé (« le vandalisme irréfléchi et erratique est contre-productif et contraire à l’éthique »). Or, il qualifie paradoxalement d’« intéressante » une campagne lancée en 1999 contre l’expérimentation sur des animaux lors de laquelle il y a eu des menaces de mort, des agressions, des attaques de maisons du personnel travaillant dans ces laboratoires. Signe que les dérives ne sont jamais loin.

Qui est l’auteur ?

Anaël Châtaignier (un pseudonyme) est docteur en histoire de l’art, artiste et professeur de dessin. Il milite au sein de différents collectifs de sensibilité écologique et (​ou) anarchiste. Écosabotage est son premier essai.

Extrait

« Longtemps considéré comme une tactique “violente” et infréquentable, le sabotage tend aujourd’hui dans certains milieux à redevenir ce qu’il a toujours été : un outil parmi d’autres dans l’arsenal militant. Une tactique très efficace au service de la lutte, susceptible d’entrer en résonance avec toutes les autres formes d’action déjà existantes (désobéissance, manifestation, boycott, blocage, grève…). Une pratique dangereuse et réjouissante, dont la prétendue “violence” est à la fois juste, saine et mûrement réfléchie. »

Écosabotage – De la théorie à l’action

Écosabotage – De la théorie à l’action

Écosociété

272 pages