Malgré le virage de la croissance verte entrepris il y a plus de 20 ans, la planète est plus que jamais sous pression. Devant cette situation alarmante, les appels à la décroissance se multiplient. On parle cependant bien peu des immenses défis humains et sociaux qu’implique une telle transition. Directrice du regroupement des Chercheurs en responsabilité sociale et en développement durable de l’UQAM, Corinne Gendron propose quatre sources pour réfléchir à ces enjeux.

Une saga : le contre-exemple de Dune

PHOTO CHIA BELLA JAMES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les acteurs Timothée Chalamet et Rebecca Ferguson dans l’adaptation cinématographique du roman de Frank Herbert, Dune, réalisée par Denis Villeneuve

Au fil de cette saga en six livres, la planète-désert Arrakis va devenir plus habitable grâce à un projet de terraformation, qui consiste à développer de l’eau et une végétation. « On penserait que la société ne peut que s’en réjouir, puisqu’il y aura plus d’eau et que la vie sera plus facile. Mais ce que Frank Herbert dit, c’est que ce n’est pas ainsi que ça se passe », souligne Corinne Gendron, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

La civilisation des Fremen, qui était complètement adaptée à l’aridité d’Arrakis, ne parvient pas à suivre cette évolution, ce qui entraîne la disparition de sa culture.

Herbert nous montre que les transformations sociales sont toujours plus difficiles et plus lentes que les transformations biophysiques.

Corinne Gendron, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

Un message d’une grande pertinence aujourd’hui, alors que la transformation de notre planète suscite des appels à la décroissance et à la réduction de la consommation. « Cela suppose des transformations de nos modes de vie et, donc, de notre organisation sociale, qui sont complexes et risquent de ne pas arriver à temps », dit Mme Gendon. « Frank Herbert nous sert ce message-là, mais à l’envers, pour une planète qui devient habitable. Il y a là un beau jeu intellectuel. »

Lisez l’article de René Audet et Corinne Gendron « L’écologie dans Dune : une science des conséquences » Consultez l’entrée du site web Les Libraires consacrée à Dune de Frank Herbert
Dune

Dune

Pocket

348 pages

Un roman : le mirage de la technologie

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Dans le roman La nuit des temps, Barjavel montre que la technologie ne suffit pas à surmonter la nature humaine.

Dans le roman de science-fiction La nuit des temps, de René Barjavel, une mission scientifique dans l’Arctique découvre une civilisation très avancée qui utilise une énergie infinie, dite universelle. Ses habitants réussissent ainsi à combler leurs besoins et désirs en travaillant très peu.

Le lecteur finit cependant par découvrir que même dans cette société d’abondance en apparence si égalitaire, des parias n’ont plus accès aux ressources, pourtant infinies.

« Depuis toujours, on nous dit que si on a la bonne technologie et une énergie abondante, il n’y aura plus de conflits. L’humanité sera super heureuse et chacun pourra se développer », rappelle Mme Gendron.

Barjavel montre plutôt que la technologie ne suffit pas à surmonter la nature humaine.

Même avec des ressources infinies, l’humanité reste dans des logiques de conflit et, surtout, de hiérarchie sociale.

Corinne Gendron, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

Et l’abondance imaginée dans ce roman a un prix : une surveillance qui élimine pratiquement toute liberté individuelle, sauf celle de consommer. « Il n’y a aucune liberté politique. Même la liberté personnelle est extrêmement réduite puisque c’est un ordinateur qui vous fait rencontrer une prétendue âme sœur », expose Mme Gendron.

« Donc l’individu est dépossédé de sa liberté par une société qui prétend bien fonctionner grâce à la technologie. »

Consultez l’entrée du site web Les Libraires consacrée à La nuit des temps de René Barjavel
La Nuit des temps

La Nuit des temps

Pocket

381 pages

Un article : l’autre décroissance

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

D’ici 2050, la majorité des pays devront composer avec une baisse de leur population, soulignent les auteurs en citant une étude de l’Université de Washington.

L’article « The New Population Bomb » traite d’une décroissance dont on parle peu, celle de la démographie. D’ici 2050, la majorité des pays devront composer avec une baisse de leur population, soulignent les auteurs en citant une étude de l’Université de Washington.

Ce n’est pas une mauvaise chose puisqu’au tournant des années 2000, on craignait une explosion démographique, précise Mme Gendron. Cette transition démographique présente toutefois de grands défis.

Il va falloir penser le système économique pour que ça ne craque pas de partout. Or, en ce moment, on ne sait pas faire. On est encore sur des transferts intergénérationnels où la population active, très jeune, doit supporter un poids toujours croissant de population inactive, et plus vieille.

Corinne Gendron, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

Le système économique actuel étant fondé sur la croissance de la consommation, de la production et de la valeur des investissements, comment une population en déclin pourra-t-elle, par exemple, financer les transferts sociaux et les retraites ?

« Ce sont des questions pertinentes dont le courant de la décroissance ne s’est pas emparé. »

Réduire la consommation est nécessaire pour l’environnement. « Mais on ne peut pas dire “consommer moins et produire moins” sans s’attaquer au système social, qui est fondé sur le fait de consommer plus et de produire plus. »

Lisez l’article du Nikkei Asia « The New Population Bomb » (en anglais)

Un classique : du conflit au compromis

PHOTO GALINA PESHKOVA, GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO

Le compromis fait au tournant des années 2000, qu’on a appelé développement durable, ou économie verte, a « beaucoup réduit l’impact écologique des activités économiques par unité », mais pas assez pour réduire la pression sur les écosystèmes.

Selon le sociologue français Alain Touraine, mort en juin dernier à l’âge de 97 ans, les conflits sociaux débouchent sur des compromis, qui finiront toutefois par devenir sources de conflits, et nécessiteront de nouveaux compromis.

Le conflit est toujours là, mais pas à propos de la même chose. De conflit en conflit, la société se construit sur de nouvelles bases.

Corinne Gendron, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

C’est ce qu’on voit actuellement dans la sphère économique, avec les nouveaux cadres réglementaires intégrant des paramètres environnementaux, comme les émissions de gaz à effet de serre et les rejets. « Évidemment, si vous demandez à une entreprise qui n’avait pas besoin de tenir compte de ce coût environnemental, ce n’est pas intéressant de son point de vue… »

Le compromis fait au tournant des années 2000, qu’on a appelé développement durable, ou économie verte, a « beaucoup réduit l’impact écologique des activités économiques par unité », mais pas assez pour réduire la pression sur les écosystèmes.

« Donc le conflit resurgit, c’est pourquoi on parle aujourd’hui de façon plus claire de décroissance. » Encore faut-il trouver un compromis praticable. « Je ne veux pas lancer la pierre aux gens qui sont décroissants, je dis juste qu’il va falloir que les économistes s’y mettent. Il va falloir y penser ! »

Consultez l’entrée du site web Les Libraires consacrée à La voix et le regard d’Alain Touraine Consultez la version électronique du livre sur le site web de l’UQAC
La voix et le regard : sociologie des mouvements sociaux

La voix et le regard : sociologie des mouvements sociaux

Seuil

320 pages

Qui est Corinne Gendron ?

Professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, Corinne Gendron dirige le groupe des Chercheurs en responsabilité sociale et en développement durable (anciennement Chaire de responsabilité sociale et de développement durable).

Elle est titulaire d’un doctorat en sociologie et d’un MBA, et est avocate.

Ses recherches portent sur les représentations sociales de l’élite économique et politique, sur l’évolution de l’entreprise comme institution sociale, et sur les dynamiques d’acceptabilité sociale des grands projets et des nouvelles technologies.

Corinne Gendron est membre additionnelle du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), et siège au comité consultatif ministériel sur la transition environnementale (fédéral).