Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’actrice Milya Corbeil Gauvreau.

Du plus loin que je me souvienne, tu as toujours été près de moi. Je ne te connaissais pas encore très bien, mais je savais que tu allais jouer un rôle capital dans ma vie. Au départ, tu gardais une certaine distance avec moi. Tu me stimulais à avancer, me poussais à dépasser mes limites, m’accompagnais dans les moments importants, et ce, même si je ne te remarquais pas encore. Grâce à toi, j’avais le désir profond de m’améliorer constamment. Tu me permettais d’avoir de l’audace et m’encourageais à entreprendre de grandes choses. En y repensant, tu étais bonne lorsque tu me regardais de loin.

En grandissant, j’ai commencé à t’accorder plus d’importance. Je t’ai laissée doucement envahir mes pensées et prendre le contrôle de mon esprit. Comme ta marionnette, je me laissais diriger par tes ficelles. Chaque décision, chaque geste que je faisais étaient déterminés par ton emprise.

Tu avais le pouvoir d’altérer la réalité, de créer de nouveaux scénarios et de réécrire ma propre histoire. À cause de toi, j’avais le besoin constant de me prouver. Pour toi, je devais être la meilleure et je n’avais pas droit à l’erreur. Je me comparais constamment, me remettais en question et doutais de moi-même. Pour toi, je devais être un modèle. Une jeune femme irréprochable sans imperfections. Pour toi, il n’y avait pas d’autres options. Et même si j’essayais de prendre mes distances ou de me défaire de ton emprise, je n’arrivais plus à me détacher de toi, tu faisais partie de moi.

À l’adolescence, ta domination se faisait ressentir dans toute mon intériorité. Cette quête que tu m’avais donnée, de rechercher sans cesse les résultats espérés, se faisait au détriment de ma propre santé. Lorsque tu prenais trop de place, ma respiration pouvait s’accélérer jusqu’à ce que mon souffle soit coupé. J’avais l’impression de chercher mon air dans un monde qui semblait s’écrouler. C’est la gorge nouée, la poitrine perforée et le cœur serré, paralysée sur le plancher, que j’ai finalement décidé de m’adresser à toi. Parce que tu étais allée trop loin et que je ne pouvais plus te laisser me contrôler. Je suis donc allée rencontrer quelqu’un pour comprendre comment te gérer, et c’est à ce moment que j’ai appris ton nom : Anxiété.

J’ai appris que je n’étais pas ta seule cible. Que tu avais le pouvoir de contrôler une partie de notre société. Que c’était toute une génération qui était à tes pieds ! Je n’étais pas ta seule victime, je n’étais pas la seule en détresse. Le quotidien étouffant que tu faisais subir à moi ou à d’autres traçait en fait les contours de la maladie mentale.

Pour calmer cette pression perpétuelle que tu m’imposais et pour guérir cette détresse psychologique, j’ai décidé de t’affronter et de commencer à me médicamenter. Mais alors que je croyais avoir trouvé la solution pour pouvoir te contrôler, ce n’était en fait que le début d’une longue bataille.

Parce qu’en avalant, jour après jour, ces antidépresseurs, une légèreté s’est emparée de moi. Tout d’un coup, tu n’étais plus là pour contrôler mes pensées et dicter ma vie. La cacophonie mentale que j’avais toujours connue avait enfin disparu. Mes muscles, constamment crispés, étaient finalement relâchés. Mes pleurs et mes paniques appartenaient au passé. Jamais je ne pensais que ça allait m’arriver, mais d’un coup, tu n’étais plus à mes côtés.

Et c’est à ce moment que j’ai compris que le plus gros défi de notre histoire n’était pas de t’effacer, mais de trouver la force de te contrôler sans mes anxiolytiques.

Plusieurs fois j’ai essayé, j’ai tenté d’arrêter les médicaments, mais mon corps en redemandait.

Sans ce soulagement radical pharmaceutique, j’avais sans cesse des étourdissements. Mes mains se mettaient à trembler, j’avais la nausée, je ne voulais plus manger, j’étais constamment épuisée… J’étais devenue prisonnière de cette impression de guérison.

J’ai réalisé avec le temps que ces médicaments me laissaient seulement avec une impression d’amélioration de notre relation.

Tu n’étais, en fin de compte, jamais vraiment partie, simplement réduite au silence, prête à revenir quand bon te semblait.

C’est alors que j’ai compris. Tout au long de notre relation, je t’ai toujours rejetée. J’ai constamment essayé de te gérer, de te repousser, de t’effacer, mais tout ce que je faisais, c’était nourrir le négatif que tu pouvais m’apporter. Aujourd’hui, plus le temps avance, plus je prends conscience que ma relation avec toi peut se transformer. Elle peut changer. Parce que toi, Anxiété, tu ne peux cesser d’exister. Et au lieu de te repousser, je peux t’apprivoiser. Et je me surprends à comprendre que tu peux finalement m’aider.