Depuis le lancement grand public du robot conversationnel ChatGPT, l’intelligence artificielle enflamme les conversations. Certains y voient le salut de l’humanité. D’autres, son extinction. Guillaume Lajoie, membre académique principal de Mila–Institut québécois d’intelligence artificielle, propose quatre sources pour saisir les tenants et aboutissants d’une technologie qui va probablement changer nos vies à jamais…

Un docu-réalité : créer son double numérique

Pas facile de se faire une tête sur l’intelligence artificielle (IA). Ses progrès sont si rapides qu’on peut vite avoir l’impression d’être dépassé. « Les outils pour le grand public n’existent pas encore », constate Guillaume Lajoie, qui est professeur adjoint au département de mathématiques et de statistique de l’Université de Montréal. Et en français, les sources se font encore plus rares. Dans le docu-réalité en trois épisodes IA, être ou ne pas être, le journaliste et animateur Mathieu Dugal crée son double numérique, une démarche qui lui permet d’explorer les impacts de l’intelligence artificielle sur nos vies, avec le concours de sommités en la matière. Un exercice utile pour saisir les mécaniques de l’IA. « On pourrait avoir l’impression que cette série-là a été faite un an trop tôt, avant l’arrivée de ChatGPT, mais elle est excellente et très à jour », dit le spécialiste. Diffusée sur le site internet de Radio-Canada, IA, être ou ne pas être montre par exemple « à quel point on peut produire des systèmes qui s’apparentent à une intelligence humaine à partir des données qu’on laisse sur le web ». Un peu comme un cerveau humain se nourrit des évènements de la vie pour s’instruire… et devenir intelligent. Un parallèle révélateur, juge Guillaume Lajoie.

Voyez le docu-réalité IA, être ou ne pas être

Des articles : plonger au cœur de la bête

ILLUSTRATION THE NEW YORK TIMES

Les informaticiens de Microsoft ont été tellement surpris par l’ingéniosité du robot ChatGPT-4 pour résoudre des énigmes qu’ils ont vu en lui un premier modèle d’un système d’intelligence artificielle générale.

Pour voir ce qui se cache sous le capot de l’intelligence artificielle et comprendre les récentes avancées techniques qui ont mené à la naissance d’un agent conversationnel comme ChatGPT et à ceux qui lui succéderont, Guillaume Lajoie pointe quelques articles, en anglais. Dans un billet publié sur Medium, Blaise Agüera y Arcas, vice-président chez Google, se demande si un robot peut vraiment comprendre les humains. « C’est un questionnement presque philosophique, dit le chercheur. C’est un peu technique, mais c’est un aspect fondamental, et Agüera y Arcas fait bien la part des choses. » Guillaume Lajoie propose aussi la lecture d’un article du New York Times qui rend compte de travaux réalisés avec une version préliminaire de ChatGPT-4. Les informaticiens de Microsoft ont été tellement surpris par son ingéniosité pour résoudre des énigmes qu’ils ont vu en lui un premier modèle, incomplet certes, d’un système d’intelligence artificielle générale, à savoir un outil capable d’apprendre de façon complètement autonome. Ils ont donc documenté les comportements du robot dans un long article de 155 pages, qu’on peut aussi consulter. Des travaux critiqués par certains pour manque d’objectivité, mais qui nous permettent d’« aller voir ce qu’il y a dans la saucisse », dit Guillaume Lajoie.

Lisez le billet de Blaise Agüera y Arcas (en anglais) Lisez le reportage « Microsoft Says New A.I. Shows Signs of Human Reasoning » du New York Times (en anglais) Consultez l’étude Sparks of Artificial General Intelligence (en anglais)

Un essai : des outils à contrôler

PHOTO FOURNIE PAR KATE CRAWFORD

Dans son Contre-atlas de l’intelligence artificielle, Kate Crawford craint un nouveau colonialisme au profit des puissants, en particulier les géants du web.

L’immense capacité de traitement de l’information est l’une des forces de l’intelligence artificielle. Grâce à l’analyse de sommes de données et de connaissances, l’IA facilitera la détection de pathologies et l’élaboration de nouveaux traitements en santé ou la conception de matériaux aux propriétés insoupçonnées, par exemple. Elle pourrait aussi contribuer à la découverte de solutions aux grandes crises qui affectent l’humanité, notamment en matière d’accès au savoir et d’environnement, rappelle Guillaume Lajoie. « Je suis convaincu que l’IA aura des bienfaits faramineux, dit-il. On va tous être des X-Men ! » Il reste qu’une utilisation malveillante de l’IA fait planer le spectre de la manipulation de l’opinion publique, par l’entremise des réseaux sociaux, et d’un piratage informatique incontrôlable, sans parler d’une utilisation insouciante, malhonnête ou biaisée de toutes les données qu’on laisse traîner sur le web. Voilà quelques-unes des raisons qui convainquent bon nombre d’experts de réclamer un meilleur encadrement de l’IA, à l’instar de la professeure australienne Kate Crawford. Dans son Contre-atlas de l’intelligence artificielle, cette experte reconnue craint même un nouveau colonialisme au profit des puissants, dont les géants du web. Pour elle, « le développement d’outils d’IA par des entreprises qui n’ont pas de comptes à rendre, ce n’est vraiment pas une bonne idée », résume M. Lajoie.

Contre-atlas de l’intelligence artificielle

Contre-atlas de l’intelligence artificielle

Zulma essais

384 pages

Une étude : dompter l’IA

PHOTO HILARY SWIFT, THE NEW YORK TIMES

L’armée américaine effectue des tests avec des drones capables d’identifier des combattants de façon autonome… mais c’est un humain qui prendrait la décision d’abattre ceux-ci, promet Robert O. Work, secrétaire adjoint à la Défense.

« Le génie est sorti de la bouteille », lance Guillaume Lajoie. Si les appels au moratoire sur le développement de l’IA sont utiles pour sensibiliser la population aux impacts de cette technologie sur notre monde, il serait futile, dit le chercheur, de vouloir arrêter le train en marche. Rien ne sert non plus de faire des scénarios catastrophes, ajoute-t-il. « Ça peut être affolant et, oui, il y a des considérations futures qui sont importantes, mais elles sont liées à des enjeux beaucoup plus immédiats », précise le chercheur. Ce qu’il faut faire maintenant, c’est de trouver les moyens pour s’assurer que l’IA ne menace pas l’humanité. « Il faut être pragmatique, baisser la température et se demander ce qu’on doit développer tout de suite pour bien interagir avec cette technologie », dit-il. Par où commencer ? Mila et l’UNESCO ont invité des chercheurs du monde entier à réfléchir à la gouvernance de l’IA. Les 18 articles issus de l’exercice, réunis dans un ouvrage de près de 400 pages intitulé Angles morts de la gouvernance de l’IA, abordent des enjeux variés comme la fiabilité de l’IA, ses effets sur les droits des minorités, la démocratie ou le développement d’armes autonomes. Beaucoup de questions commandent des réponses nuancées, mais pour Guillaume Lajoie, un constat s’impose déjà : « On ne devrait pas automatiser des décisions dans un contexte militaire, point à la ligne. »

Consultez l’étude Angles morts de la gouvernance de l’IA

Qui est Guillaume Lajoie ?

  • Professeur adjoint au département de mathématiques et de statistique de l’Université de Montréal, Guillaume Lajoie est membre académique principal de Mila–Institut québécois d’intelligence artificielle.
  • Le chercheur détient un doctorat du département de mathématiques appliquées de l’Université de Washington, à Seattle. Il est titulaire d’une Chaire de recherche Canada-CIFAR en intelligence artificielle et de la Chaire de recherche du Canada en calculs et interfaces neuronaux.
  • Ses recherches s’intéressent à l’intelligence artificielle et aux neurosciences. Récemment, il a notamment travaillé au développement d’algorithmes pour optimiser les interfaces cerveau-machine.