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J’aimerais comprendre comment, d’un point de vue légal, il est encore permis à l’Église catholique canadienne d’interdire aux femmes d’occuper les postes de sa hiérarchie (par exemple en devenant prêtres).

Lucie Marchand

L’Église catholique qui interdit aux femmes de devenir prêtres, ça ne contrevient pas à nos chartes des droits et libertés qui prônent l’égalité des sexes ?

Malheureusement pour les femmes qui aimeraient devenir prêtres, non. Parce que les chartes des droits permettent aux organisations religieuses de régir elles-mêmes leurs pratiques religieuses.

Réglons tout de suite le cas de la Charte canadienne des droits et libertés : elle s’applique à nos lois, aux décisions des gouvernements et aux actions de l’État, mais pas aux décisions de l’Église.

La Charte des droits et libertés de la personne du Québec s’applique dans diverses circonstances aux décisions de l’Église et d’autres acteurs privés au Québec (par exemple les employeurs, restaurants, locateurs d’un logement, etc.).

Sauf que l’article 20 de la Charte québécoise permet expressément aux organisations religieuses sans but lucratif d’exclure des personnes si c’est justifié pour un motif religieux. Ces exclusions justifiées pour des motifs religieux sont réputées non discriminatoires.

Conclusion : l’Église peut exclure les femmes de la prêtrise et ça respecte tout de même la Charte québécoise. Parce que cette exclusion se fonde sur les critères religieux de l’Église, qui estime que seuls les hommes peuvent être prêtres.

L’article 20 de la Charte québécoise protège la liberté de religion et la liberté d’association (article 3), au détriment de la protection contre la discrimination ainsi que l’égalité des sexes et des genres (article 10). Il défend la capacité des organisations religieuses d’avoir leurs propres règles dans la pratique de leur religion.

« On permet ainsi à des organismes religieux de poursuivre leurs pratiques religieuses avec des choix qui ne seraient pas permis sans cette dimension religieuse », résume le doyen de la faculté de droit de l’Université McGill, Robert Leckey, professeur de droit constitutionnel.

Selon Robert Leckey, la capacité de l’Église d’interdire aux femmes de devenir prêtres n’a jamais été contestée devant les tribunaux. Une telle poursuite n’aurait à peu près pas de chances de succès parce qu’il s’agit d’une « question au cœur des pratiques religieuses » protégées par les articles 3 et 20 de la Charte québécoise, estime-t-il.

Pour ses postes clés à caractère religieux (par exemple la prêtrise), l’Église catholique peut embaucher seulement des employés de foi catholique et refuser d’embaucher des employés d’une autre religion ou athées.

Autre exemple de la latitude accordée aux organisations religieuses au nom de la liberté de religion (article 3) : elles ne sont pas obligées de célébrer des mariages homosexuels. L’Église catholique n’en célèbre pas. L’État québécois, lui, doit célébrer les unions civiles et les mariages entre conjoints de même sexe, en vertu du Code civil du Québec et des chartes des droits.

Il y a toutefois des limites à ce que l’Église peut faire au nom de la liberté de religion.

Quand elle offre un service public pour le compte de l’État, une organisation religieuse ne peut plus jouer selon ses propres règles : elle doit se conduire sans faire de discrimination. Un exemple ? Une organisation chrétienne qui exploite une résidence pour personnes handicapées ne peut pas refuser d’embaucher une préposée aux bénéficiaires au motif qu’elle est lesbienne (un « péché » selon l’Église), a tranché un tribunal ontarien en 2010⁠1.

Vous pourriez être tenté de poser la question suivante : célébrer un mariage n’est-il pas un service public offert par l’État ?

Bien essayé, mais non.

En fait, c’est le législateur québécois qui a décidé que tous les mariages célébrés par des ministres du culte compétents sont civilement valides (article 366 du Code civil du Québec). « On décide d’attribuer des effets civils à une activité religieuse », dit Robert Leckey. Toutes les provinces canadiennes ont fait le même choix que le Québec. Mais en théorie, le législateur n’est pas obligé d’avaliser sur le plan civil tous les mariages religieux célébrés par des ministres du culte compétents. Il aurait pu faire un choix différent.

Le Québec avalise aussi les mariages célébrés par les notaires, les maires, les greffiers au palais de justice, et toute autre personne désignée comme un célébrant compétent par le ministère de la Justice. Les célébrants civils sont obligés d’offrir ce service public sans discrimination. Ils ne peuvent pas se prévaloir de l’exception de l’article 20 de la Charte québécoise, réservée aux organisations religieuses.

S’il n’y a pas de femmes prêtres au sein de l’Église catholique, il y a toutefois des femmes prêtres au sein de l’Église anglicane, au Canada comme en Angleterre. Les femmes peuvent aussi accéder à la prêtrise au sein de l’Église luthérienne de Suède : elles y sont même plus nombreuses que les hommes.

Les femmes pourront-elles devenir prêtres un jour au sein de l’Église catholique ?

Rien n’indique que le Vatican changera d’idée. Sauf que des femmes catholiques défient ouvertement l’Église. L’organisme Women’s Ordination Worldwide milite pour l’ordination des femmes au sein de l’Église catholique. Ses membres organisent notamment des manifestations et des cérémonies d’ordination non reconnues par le Vatican. Environ 300 femmes sont ainsi devenues « prêtres ». Elles sont considérées comme excommuniées par l’Église.

L’Église catholique aurait tout intérêt à se moderniser. À accepter les femmes et les personnes non binaires comme prêtres. À célébrer les mariages entre conjoints de même sexe.

La foi d’une personne n’a rien à voir avec son genre ou son orientation sexuelle.

Nous ne sommes plus en 1950.

1. Ontario Human Rights Commission c. Christian Horizons, 2010 ONSC 2105 (CanLII)