Chaque semaine, un de nos journalistes vous présente un essai récemment publié.

Dans son essai Avortée, l’essayiste française Pauline Harmange déplore le tabou persistant entourant l’avortement. Le droit à l’avortement est indéniable, assure-t-elle. Mais peut-on parler de ses conséquences sans craindre que nos propos soient récupérés par les militants anti-choix ? Une réflexion tout en nuances qui devrait lancer une bonne discussion.

Pauline Harmange avait frappé l’imaginaire avec le titre provocateur de son dernier pamphlet, Moi les hommes, je les déteste, paru en 2020. Traduit en 20 langues, cet essai avait fait le tour du monde. Nous avions interviewé l’autrice à l’époque.

Relisez notre entretien avec Pauline Harmange

Harmange revient avec un titre plus sage, mais un propos tout aussi percutant. Cette fois, l’essayiste aimerait qu’on parle d’avortement. Pas du « droit à », indéniable selon elle. Mais de ses conséquences, de la façon dont chaque femme le vit intimement. Elle aimerait qu’on puisse en discuter sur la place publique sans craindre que son accès ne soit remis en question par ceux et celles qui s’y opposent. Et Dieu sait que ce droit est fragile, on l’a vu aux États-Unis avec la Cour suprême qui a annulé la décision Roe c. Wade.

« Il faut avoir le droit de choisir ou non l’avortement, ça va de soi, écrit Martine Delvaux qui signe la préface d’Avortée. Mais il faut aussi avoir le droit d’en parler, d’effleurer ou de creuser, de déplier délicatement, avec force et tendresse, tout ce que contient cet événement. »

Ce livre n’est donc pas pour les adeptes de la pensée binaire. À ceux-là on dit : passez votre chemin ! L’essai de Pauline Harmange s’adresse à ceux et celles qui sont à l’aise avec les nuances et les zones grises.

À partir de sa propre expérience, un avortement qui s’est déroulé à la maison, par pilule abortive, dans un pays — la France — où les femmes ont le choix, Pauline Harmange parle des séquelles psychologiques qui ont suivi. De ses questionnements. De sa tristesse aussi.

Et déplore qu’il n’y ait pas eu d’espace pour en parler, que ce soit avec le corps médical ou avec son entourage.

« Tu l’as voulu, tu l’as eu, maintenant tu fermes ta gueule et tu souris », écrit-elle en parlant du message qu’envoie la société aux femmes, selon elle.

Et force est de reconnaître que les femmes parlent rarement d’avortement entre elles. Malgré son accès, cet acte médical demeure quelque chose de très intime, voire secret. Une expérience dont on parle en chuchotant, et qu’on garde souvent pour soi. Dans l’espace culture, on pense bien sûr à L’événement d’Annie Ernaux, adapté ensuite au cinéma, mais les exemples sont peu nombreux.

Ce silence, cette gêne, voire cette honte pour certaines femmes de parler de leur avortement empêche un partage qui serait bénéfique, estime Pauline Harmange.

Bien sûr, chaque avortement est différent et les femmes le vivent chacune à leur manière. Certaines n’y repensent plus, d’autres prennent plus de temps à se remettre de l’expérience. Il y a des femmes qui ressentent un immense soulagement, sans plus. D’autres un soupçon de culpabilité ou de regret. Certaines voudront se le rappeler toute leur vie, d’autres voudront l’oublier pour toujours.

Toutes ces expériences sont valides et Pauline Harmange ne les remet jamais en question. Elle souhaite seulement qu’elles soient entendues.

L’autrice aimerait aussi que l’expérience des hommes soit incluse dans la discussion publique sur l’avortement. Pas pour qu’ils influencent la décision des femmes, non. Jamais. Harmange aimerait qu’on entende les hommes parler de leur vécu et de leur émotion en lien avec l’avortement de leur compagne afin que ces dernières ne soient pas seules à porter le fardeau émotionnel de la décision et de ses conséquences. Afin, aussi, que la responsabilité soit partagée.

En écrivant ce livre, Pauline Harmange dit tout haut ce que peut-être bien des femmes se sont déjà dit tout bas. Elle ouvre la discussion dans le but de libérer la parole des femmes pour qu’elles se sentent libres d’exprimer des sentiments ambigus qui, parfois, accompagnent l’expérience de l’avortement. Son essai est nécessaire et courageux.

Qui est Pauline Harmange ?

Écrivaine et militante féministe, Pauline Harmange s’est fait connaître avec son livre Moi les hommes, je les déteste. Publié en 2020, cet essai dénonçait la misogynie systémique et proposait d’y répondre par la misandrie. En voulant en interdire la diffusion, un fonctionnaire français du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes l’a plutôt aidé à devenir un best-seller.

Extrait

« L’avortement n’existe pas. Il n’a pas de corps dans l’espace public. Une fois de temps en temps, il fait l’objet d’une couverture médiatique : les Polonaises n’y ont plus accès, les Argentines y ont enfin accès, on ne parle de l’avortement dans la sphère publique que quand il est question de son interdiction ou de sa permission. Alors là on rappelle les chiffres, on laisse parler quelques experts-es, quelques femmes témoignent. […] Ce n’est pas faute pour les féministes d’essayer de faire vivre le sujet, je crois, mais ça ne prend pas. Bien sûr qu’il y a des exceptions qui confirment la règle, des objets culturels qui abordent la question, mais s’il faut faire une généralité, elle est la suivante : l’avortement n’existe pas. »

Avortée : une histoire intime, un choix politique

Avortée : une histoire intime, un choix politique

Éditions Château d’encre

107 pages