La petite salle au fond du bar est animée ; j’ai l’impression d’entrer dans un party de bureau. L’évènement est commencé depuis 15 minutes (je ne trouvais pas de stationnement), mais les gens jasent déjà vivement. Ça rit, ça gesticule, ça s’investit dans la conversation… Pourtant, ces 24 individus ne se connaissent ni d’Ève ni d’Adam.

C’est la quatrième soirée « slow dating » organisée par Afterglo, entreprise montréalaise qui donne dans les produits intimes. C’est par contre la première pour personnes hétérosexuelles de 40 à 55 ans, les précédentes s’adressant aux communautés LGBTQ+ et aux jeunes adultes.

Les personnes présentes ont été choisies au hasard parmi toutes celles inscrites et elles ont été prévenues dès leur arrivée : ici, on oublie le « pitch de vente » et les grandes attentes. On n’est pas là pour trouver l’âme sœur, mais pour rencontrer des humains chouettes.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Kim Levan et Khoa Lê organisent des soirées de « slow dating ».

D’ailleurs, Khoa Lê, cofondateur d’Afterglo, insiste sur une chose : « Slow Dating n’est pas un évènement pour célibataires. C’est un lieu de connexion humaine avant tout ! On ne veut pas exclure les personnes en quête de plaisir significatif ni les personnes polyamoureuses et, surtout, on ne désire pas imposer cette pression de quête amoureuse. »

Alors, comment on connecte des humains sans pression ?

Il y a six tables de quatre places, dans la pièce. Toutes les 15 minutes, les participants bougent selon un parcours préétabli. Au fil de la soirée, chaque personne aura ainsi la chance de rencontrer les autres, mais sans la pression du tête-à-tête. Et même pas besoin de trouver des sujets pour briser la glace, puisque sur chaque table trônent des « cartes de conversation ».

Le jeu a été commercialisé par Afterglo et propose des questions comme « Quelle est la meilleure soirée que tu aies jamais vécue ? », « La dernière fois que tu as pleuré ? », « Quelles qualités t’attirent vers quelqu’un que tu ne connais pas ? ».

Charmant.

La musique s’interrompt. Khoa indique aux participants que le moment est venu de changer de table. Deux femmes que je connais s’aperçoivent alors de ma présence. « Ben voyons donc ! Le monde est petit ! »

J’en profite pour sonder Sophie et Catherine : elles s’amusent ? Absolument ! Catherine m’avoue même être étonnée d’avoir tant de plaisir. Mais bon, certaines cartes peuvent surprendre plus que d’autres, ajoute Sophie (qui vient d’expliquer son rapport aux trips à trois à de purs étrangers).

Le jeu reprend.

L’énergie semble meilleure à certaines tables, mais partout, les yeux sont posés sur la personne qui parle. Je suis touchée de voir que les gens ont droit à de l’attention véritable. Ça doit faire du bien d’être ainsi vu et entendu.

Une participante nommée Yasmina me confie d’ailleurs qu’elle n’est pas réellement ici pour rencontrer quelqu’un, mais plutôt pour apprendre à vivre en solo. « C’est la première fois de ma vie que j’entre seule dans un bar », déclare fièrement la nouvelle célibataire.

Je trouve ça beau.

Lorsque la ronde suivante débute, Sophie m’invite à sa table pour que je vive l’expérience de l’intérieur. Selon elle, c’est essentiel pour comprendre de quoi il en retourne vraiment. « C’est du dating d’humains », glisse-t-elle tout bas.

En quinze minutes, on a le temps de piger deux cartes.

« Quand est-ce qu’on a été le plus gentil avec toi ? »

« Préfères-tu être séduit.e ou séduire ? »

J’en apprends étonnamment beaucoup sur mes interlocuteurs. Ils sont drôles et attendrissants. Je comprends ce que Sophie voulait dire. Ici, on peut se faire des amies, des contacts professionnels ou des kicks, au fond…

À la fin de la soirée, les participants pourront écrire un mot aux personnes de leur choix. « J’aimerais te revoir » ou « tu m’as fait réfléchir », cite en exemple Khoa. Pour éviter que des gens ne repartent bredouilles et tristes, les messages seront photographiés et transmis par courriel par l’équipe d’Afterglo. La suite appartiendra aux participants.

Une nouvelle soirée pour personnes de 40 à 55 ans aura lieu le 25 janvier prochain, encore au bar L’idéal. C’est que la demande est grande, dans cette tranche d’âge. En fait, elle l’est surtout chez les femmes… Khoa Lê estime que le ratio est de dix inscriptions de femmes pour une inscription d’homme !

« Je pense que les femmes sont plus confortables dans ce type de rencontres où il y a une véritable mise à nu », réfléchit à voix haute le cofondateur d’Afterglo. Sans oublier que des hommes s’imaginent assez facilement avec une femme plus jeune. Rien de mal là-dedans, mais est-ce qu’un gars début quarantaine s’inscrirait spontanément dans la catégorie « 40 à 55 ans » ? La question se pose.

Curieuse de savoir où se cachent les hommes, j’ai lâché un coup de fil à Carl Rodrigue, diplômé en sexologie qui enseigne maintenant à la St. Jerome’s University. Il m’a répondu que très peu d’études nous permettent d’établir s’il s’agit du genre d’activité qui attire ou non une clientèle masculine…

Par contre, il est vrai que les hommes ont souvent moins appris à gérer les sentiments liés à la vulnérabilité. Résultat ? Certains sont moins enclins à s’exposer à une situation potentiellement inconfortable.

On sait aussi que les hommes hétérosexuels lancent plus de perches que les femmes, sur les applications de rencontre. Celles-ci reçoivent donc beaucoup de messages et, se sentant parfois inondées, répondent à peu d’entre eux. Des gars peuvent associer ce silence à une forme de rejet.

Il y en a qui perdent confiance en leur capacité à attirer les autres, à la suite de ce qu’ils perçoivent comme des échecs répétés en ligne. Ceux-là voudront peut-être éviter de se faire rejeter en personne.

Carl Rodrigue, diplômé en sexologie et enseignant à la St. Jerome’s University

Chose certaine : les études n’indiquent pas que les hommes souhaitent moins faire des rencontres que les femmes. Il s’agit donc de les trouver, estime Carl Rodrigue.

Khoa Lê en est également convaincu : « J’ai l’impression que les hommes pourraient être intéressés par ce type de rencontre, mais qu’on ne les rejoint juste pas. »

Si jamais vous êtes l’un de ceux-là, sachez que quelqu’un, quelque part, vous cherche…

Consultez le site web « Slow Dating by Afterglo » Consultez le compte Instagram d'Afterglo