Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Mariana Mazza.

16 h 30. Un mardi d’octobre. Je m’endors au son du vide, les chiens collés à mon torse, ma sieste de la journée peut commencer.

16 h 50. Mon téléphone sonne. Numéro inconnu. Je ne veux pas répondre, je suis trop endormie, mais l’automatisme de ma main fait glisser le bouton pour répondre.

« Allô.

— Mariana ? C’est Michel Côté, j’espère que tu vas bien. As-tu deux minutes ?

– Oui... »

Je ne comprends toujours pas ce qui m’arrive. C’est un rêve ? Je ne me suis pas vraiment réveillée ? Est-ce que c’est mon entrepreneur ? C’est qui, Michel ? Oh, my God. Michel. MICHEL !

« MICHEL ! COMMENT ÇA VA ?

— Ça va bien. Écoute Mariana, je ne te dérangerai pas longtemps. Je viens de dévorer ton roman, comme si c’était un roman policier. Je pensais t’aimer, mais je t’aime encore plus que je ne le pensais. Ta plume, ta façon de raconter les choses, ta... »

Un espace noir se crée dans ma tête. Comme si j’essayais de comprendre ce qui se passait. Je me redresse du coussin où ma tête est bien enfoncée. Michel Côté. L’acteur que ma mère trouve de son goût depuis si longtemps. L’acteur que je respecte et vénère depuis le film C.R.A.Z.Y., qui à ce jour est mon film québécois préféré.

Son appel me semble absurde, touchant. Comme si je ne méritais pas tous ces honneurs. J’ai souvent l’impression que je suis une personne comme une autre, qui n’a pas de privilège parce que j’aime faire partie du peuple. Des gens normaux. Qui paient leurs taxes. Qui ont des craintes, des peurs. Qui font la file d’attente à la caisse et qui prennent un verre de trop quand la tristesse prend le dessus sur la raison.

Je fais partie des gens normaux. Pas de ceux qui méritent un appel de fucking Michel Côté. Même si lui aussi fait partie des gens normaux. Des gens qui ont de belles carrières, une famille, des soucis parfois.

Je fais partie des gens normaux, qui ont des fois cette chance. Cette petite chance d’avoir accès à ces gens que nous admirons. Que nous croisons en zappant les postes de télévision en nous disant : « Si je pouvais le rencontrer, je lui dirais comme je l’aime. »

J’ai rencontré plusieurs légendes. J’en côtoie encore des fois. Sur un plateau. C’est organisé. Ils ne m’ont pas demandé d’être là. La production les a jumelés avec moi parce que ça va faire un bon show de télé. Pas parce que je fais partie de la liste de ceux qu’ils aimeraient voir.

J’ai tourné mon deuxième film à vie avec Michel. On s’est tout de suite aimés. Comme si c’était mon père, mon frère. Un homme simple. Comme les autres. Gentil. Professionnel. Attentioné. Le gentleman que vous imaginez, c’est lui. Mieux même que dans vos meilleures pensées.

J’ai toujours eu l’impression que notre connexion en était une vraie. Pas une passagère. Bien ancrée. Comme si on ne se devait rien parce qu’on s’était tout donné.

J’ai parlé avec lui au téléphone pendant 22 minutes et demie. On a survolé tout ce qu’on pouvait. J’ai pleuré les larmes de mon corps. Michel s’est retiré de la vie publique pour mieux guérir. Parce qu’il est malade. Véronique et ses enfants sont là, toujours, ne le lâchent pas.

On a parlé de la maladie. De la mort. De la vie. De l’espoir. De l’amour. Beaucoup, d’amour.

Avant de raccrocher, il m’a dit : « N’arrête jamais d’écrire. »

J’ai répondu : « Ne meurs pas, s’il te plaît. C’est trop tôt. »

Je t’aime, Michel.

Plus que je le pensais.