C’est une des écrivaines les plus reconnues sur la planète. Auteure du roman La servante écarlate, devenue une série-culte, Margaret Atwood est, à 82 ans, l’une des intellectuelles les plus pertinentes de son époque. Romancière, poète, critique littéraire, l’auteure canadienne est également une féroce commentatrice de l’actualité. Questions brûlantes, son plus récent recueil de chroniques, nous confirme une fois de plus son intelligence vive ainsi que son formidable sens de l’humour.

Margaret Atwood nous reçoit — virtuellement — dans son bureau. À gauche, on aperçoit une table de travail. Le mur du fond est couvert d’une grande bibliothèque. Des livres jonchent le sol, ce qui n’est pas surprenant car l’écrivaine est aussi une lectrice assidue. Elle apparaît au milieu de l’écran, vêtue de rose, l’œil pétillant, s’exprimant dans un français impeccable. Elle relit d’ailleurs ces jours-ci Les rois maudits de Maurice Druon dans le but, dit-elle, d’élargir son vocabulaire en français. Même si, ajoute-t-elle en riant, elle doute qu’une phrase comme « L’odeur atroce et âcre des testicules brûlants emplissait l’air » lui soit très utile dans une conversation…

Le livre Questions brûlantes, qui paraît ces jours-ci aux éditions Robert Laffont, regroupe des chroniques, des conférences et divers textes publiés au cours des 20 dernières années.

Contrairement à bien des écrivains qui préfèrent se tenir loin de l’agitation de l’actualité, Margaret Atwood participe activement au débat public. On peut lire ces commentaires dans de nombreux journaux comme le Guardian ou le Globe and Mail.

Malgré tout, Margaret Atwood ne se considère pas comme une écrivaine engagée. « Je suis une citoyenne engagée, précise-t-elle. Je fais ce que tout citoyen devrait faire, mais qu’il ne peut pas toujours parce que s’il prenait la parole publiquement, il perdrait sans doute son emploi. Les artistes, eux, peuvent faire certaines choses sans complètement ruiner leur vie. »

Écrivaine et militante

Les champs d’intérêt de Margaret Atwood sont infinis : féminisme, politique, liberté d’expression, littérature… Mais LE thème qui traverse son œuvre depuis plusieurs décennies demeure l’environnement. Élevée par des parents écolos, l’écrivaine a toujours été au front sur la question de la protection de la planète. « À l’époque, ceux qui défendaient l’environnement étaient perçus comme des gens bizarres ou excentriques, dit-elle. C’était des biologistes, des ornithologues amateurs. Ils étaient avant-gardistes. Des gens comme Rachel Carson, on ne les écoutait pas, les grandes entreprises essayaient de les discréditer. »

Mais les choses changent, constate-t-elle.

On réalise qu’on peut faire de l’argent avec les énergies renouvelables et les nouvelles technologies. Et les politiciens constatent qu’ils n’ont plus le choix d’écouter la population pour qui l’environnement est devenu une réelle préoccupation.

Margaret Atwood

Mais pour mobiliser les gens, il faut tout de même que cela soit joyeux, ajoute Margaret Atwood. « On n’y arrivera pas en ne mangeant que du tofu et en portant des uniformes gris fabriqués en bambou [rires]. Il doit y avoir du style, du plaisir, sinon personne ne va embarquer. » Aujourd’hui, quand elle écrit sur l’environnement, l’écrivaine se sent davantage écoutée. « Je suis une optimiste réaliste, dit celle qui porte des lunettes roses sur la couverture de son livre. Je crois que les choses iront mieux à condition qu’on y mette les efforts. »

Une « mauvaise féministe » ?

En janvier 2018, Margaret Atwood signe une tribune dans le Globe and Mail intitulée « Suis-je une mauvaise féministe ? ». Ce texte, qu’on retrouve dans Questions brûlantes, fait suite au tollé soulevé par une lettre d’appui au professeur et écrivain Steven Galloway, accusé d’avoir agressé sexuellement une étudiante à l’Université de la Colombie-Britannique, en 2016 (l’affaire est encore devant les tribunaux). À l’époque, les signataires de la lettre critiquent la gestion de l’Université qui a congédié le professeur sans aucune preuve.

Quel bilan fait-elle du mouvement #metoo dont on souligne le cinquième anniversaire ces jours-ci ? « Il a permis de mettre en place plusieurs mécanismes qui n’existaient pas auparavant, entre autres pour recevoir les plaintes, répond-elle. Mais cette tendance à considérer comme coupables tous les gens qui sont accusés traduit à mon avis une certaine panique morale. Si on veut accuser quelqu’un d’un crime, il faut des preuves. Personne n’aurait écrit sur Harvey Weinstein sans preuves. Les auteurs des enquêtes sont allés les chercher. »

Margaret Atwood s’inquiète de voir que de plus en plus, les opinions sont basées sur des croyances et non sur des faits, ce qui peut mener à des lynchages. « Le viol est un acte criminel, pas une métaphore, poursuit-elle. Il faut des preuves pour le démontrer. Je préfère de loin vivre dans un contexte où c’est la règle de droit qui prime, mais encore faut-il que les lois soient justes. L’organisation avec laquelle je travaille étroitement, Equality Now, œuvre justement pour changer les lois discriminatoires à l’endroit des femmes et des filles. C’est dans ce contexte que je réfléchis à ces questions. »

Le choc de La servante écarlate

Impossible de s’entretenir avec Margaret Atwood sans parler de l’adaptation télé de La servante écarlate (The Handmaid’s Tale), roman publié la première fois en 1985. Margaret Atwood confie que dans les années 1990, elle avait eu l’impression que cette dystopie avait perdu de sa pertinence…

L’élection de Donald Trump a tout changé. La marche des femmes sur Washington et le nouveau contexte politique américain a complètement modifié la réception de la série. « On avait créé une fantaisie et on se retrouvait avec une téléréalité, lance Atwood, hilare. La série en elle-même n’avait pas changé, c’est le cadre à travers lequel elle a été vue qui a changé radicalement. Les gens ne me disaient pas : “Oh Margaret, tu as tellement une imagination débridée !” Ils me disaient plutôt : “Mais comment as-tu su ?” »

Aujourd’hui, poursuit l’auteure, La servante écarlate trouve un écho particulier en Iran. « On me dit : “C’est notre vie, voici ce contre quoi nous nous rebellons. Vous avez écrit à propos de nous.” Aux yeux des États-Unis, je parlais d’une situation crainte alors que dans d’autres parties du monde, c’est leur réalité. »

Une voix qui porte

Depuis ce succès planétaire, tout le monde veut connaître l’opinion de Margaret Atwood sur une panoplie de sujets. L’écrivaine en est consciente, même si elle constate qu’à son âge, la société la préférerait plus sage. « Si vous êtes une vieille dame, vous avez le choix : vous êtes une méchante sorcière ou une gentille grand-mère. Je ne vois pas pourquoi on ne serait pas les deux. Je suis une vieille sorcière maléfique quand il le faut, et le reste du temps, je suis une gentille grand-mère. »

Le temps passe, mais Margaret Atwood ne montre aucun signe de ralentissement. Hyper sollicitée, elle est partout, active, dynamique, critique. Un modèle pour bien des femmes, même si elle dit se méfier de l’idolâtrie. « On sait ce qui arrive aux icônes… »

Celle qui a perdu son conjoint, Graeme Gibson, il y a trois ans assure qu’elle a encore l’énergie pour combattre. « Mais ça ne durera pas indéfiniment, ajoute-t-elle. Tôt ou tard, je vais disparaître. »

En infatigable militante qu’elle est, Margaret Atwood attire mon attention sur son site Practical Utopias, sur lequel on retrouve, entre autres informations, des façons écologiques d’inhumer des cadavres (!). « La crémation gaspille trop d’énergie, m’informe-t-elle avec un grand sourire. Et ce n’est pas très écologique d’envoyer ses cendres dans l’espace ou de les transformer en diamant. Il faut penser à des solutions comme le compost, par exemple. »

Un jour, m’assure-t-elle avec philosophie, on la retrouvera sans doute dans la nature, ses cendres saupoudrées sur un jardin de roses…

Consultez le site Practical Utopias (en anglais)

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : J’ai commencé à boire du café dans les années 1950, quand j’étais étudiante, du café noir pour rester éveillée et faire mes travaux. À ce jour, je ne peux plus voir du Nescafé instantané. Ensuite, j’ai commencé à lire ma poésie dans des cafés, au début des années 1960. Il y avait là la première machine à espresso que nous ayons jamais vue. Elle était vénérée comme un dieu. Et puis quand je suis arrivée en France, en 1964, il y avait ces serveurs qui vous préparaient un café au lait en vous versant du café d’une main et du lait chaud de l’autre, les deux se mélangeant dans les airs. Quelle adresse ! Une dernière aventure avec le café : le mélange Atwood du torréfacteur Balzac. Une partie des profits finance l’Observatoire d’oiseaux de l’île Pelee, sur le lac Érié. Essayez-le !

Les livres que je lis présentement : Red Memory : Living, Remembering and Forgetting China’s Cultural Revolution de Tania Branigan. Une plongée essentielle dans la révolution culturelle chinoise. Ce livre paraîtra au début de 2023. We Are Still Here : Afghan Women on Courage, Freedom, and the Fight to Be Heard, un recueil dirigé par Nahid Shahalimi (la préface est signée Margaret Atwood). Sur le courage des femmes afghanes.

Un livre que tout le monde devrait lire : On Tyranny, de Timothy Snyder, pour se souvenir et rester vigilants (en français : De la tyrannie, Vingt leçons du XXe siècle).

Des gens que j’aimerais réunir à ma table : Oscar Wilde, s’il accepte de venir. Colette, si elle apporte beaucoup de truffes. Graeme Gibson (son défunt mari), parce que j’aimerais le revoir. Edith Wharton, parce qu’elle pourrait nous parler de la fin du XIXe siècle (Gilded Age). Sjon, d’Islande, parce qu’il est très drôle. Sarah Polley, qui apporterait sans doute un gâteau. Et Tom King, qui serait peut-être grognon et refuserait de venir, quoiqu’il viendrait peut-être s’il y a du gâteau et si Graeme est là…

Qui est Margaret Atwood ?

  • Née le 18 novembre 1939 à Ottawa
  • Poète, romancière, essayiste, critique littéraire
  • Auteure de plus de 50 livres, dont The Handmaid’s Tale (La servante écarlate, en français), publié en 1985
  • Lauréate du prix Booker pour Les testaments, la suite de La servante écarlate, en 2019