Chaque semaine, un de nos journalistes vous présente un essai récemment publié.

Le vent peut tourner à tout moment et emporter ce que l’on croyait immuable. Il faut faire preuve de force pour y faire face et avancer malgré les revers de fortune.

C’est la leçon que l’on retient de la biographie de Florent Vollant, chanteur et ambassadeur du peuple innu. Au-delà de l’aspect biographique de l’ouvrage, ce livre offre une vue de l’intérieur des réalités autochtones du Québec des 60 dernières années. Une radiographie nécessaire de nos jours.

À l’âge de 5 ans, le jeune Florent Vollant a vu des « agents du gouvernement » frapper à sa porte pour convaincre sa famille et celles qui vivaient aux abords du lac Wabush que leurs enfants seraient mieux traités s’ils étaient confiés au pensionnat de Maliotenam, à 15 heures de train. Un matin de septembre 1964, les sept jeunes Vollant ont quitté leurs parents pour la promesse d’un avenir meilleur. « Du jour au lendemain, le compte était sept à zéro pour le gouvernement. »

Florent Vollant a compris qu’il valait mieux feindre de rentrer dans le rang et obtenir des notes exemplaires pour éviter les représailles.

L’auteur réalisera que s’il a gagné des connaissances, il a surtout perdu le savoir ancestral du peuple innu. Un savoir qu’il devra réapprendre au contact prolongé des anciens.

Écrit en trois parties qui s’amorcent toujours sur un coup dur, un vent de face, le livre aborde donc la vie au pensionnat. La deuxième partie relate l’adolescence turbulente où l’auteur frôle la délinquance et séjourne même en prison avant de reconnecter avec ses racines autochtones.

Florent Vollant arrive à l’âge adulte — et à la troisième partie de ce livre – en plongeant tête première dans la création musicale. Le jeune Innu a une révélation à un spectacle de Morley Loon, qui chante ses chansons en langue crie. « Si lui chante en cri, nous, on peut chanter en innu nos histoires. »

Il raconte la création du groupe Kashtin avec son comparse Claude McKenzie, les premiers succès et la surprise de découvrir que leurs chansons, écrites en innu, sont jouées dans toutes les radios du Québec.

Florent Vollant sonne aussi l’alarme sur le racisme systémique dont sont victimes les Autochtones du Québec. Le drame de Joyce Echaquan l’a profondément bouleversé. « Je connais des Autochtones qui préfèrent attendre la mort dans le bois plutôt que d’aller dans un hôpital comme celui où l’on a négligemment laissé mourir Joyce Echaquan », écrit-il.

Le livre est né d’un long processus où les deux coauteurs allaient marcher sur le mont Royal. Le chanteur racontait son histoire et Justin Kingsley prenait des notes. Il en ressort un récit en courts chapitres, écrit dans une langue proche de l’oral qui permet d’être fidèle à l’ambassadeur du peuple innu. Des chansons en innu ponctuent la lecture, parfois accompagnées d’une description en français.

La lecture, rythmée par les courts chapitres, donne ainsi au lecteur l’impression d’arpenter les chemins du mont Royal en compagnie de Florent Vollant et de l’entendre réfléchir sur sa vie et la société québécoise.

Extrait

Je connais le racisme depuis le jour où je suis monté à bord du train pour le pensionnat. Ne nous contons pas de menteries, OK ? Il y a des gens incapables d’admettre la réalité. Pendant que j’écris ces lignes, je pense à François Legault, le premier ministre du Québec. Même chose pour Ian Lafrenière, le ministre responsable des Affaires autochtones. Si ces deux dirigeants ne veulent pas reconnaître que nous subissons un racisme systémique, c’est qu’ils n’ont pas compris que, pour soigner le mal, il faut diagnostiquer et nommer la blessure.

Qui sont Florent Vollant et Justin Kingsley ?

Auteur-compositeur-interprète innu, M. Vollant s’est fait connaître en formant le duo Kashtin avec Claude McKenzie à la fin des années 1980. Il a fondé le studio Makusham sur la Côte-Nord pour soutenir la diffusion de la musique et de la culture autochtones. Professionnel de la communication, Justin Kingsley a travaillé notamment pour la firme Sid Lee. Il a signé la biographie de Georges St-Pierre, Le sens du combat, en 2013.

Ninanimishken – Je marche contre le vent

Ninanimishken – Je marche contre le vent

Préface de Richard Séguin

Flammarion Québec
240 pages