Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Guillaume Lambert.

Nous sommes à une drôle d’époque. Une époque à la fois pleine d’espoir, de possibles, mais aussi de doutes et d’incertitudes. Une époque marquée par les changements et les bouleversements. Chacun y navigue comme il peut, selon ses moyens.

Ces changements et bouleversements, tout le monde en parle, sans arrêt, sur toutes les tribunes. Tout le monde a son opinion. Et toutes les opinions mêlées, ça fait un grand bruit, un vrombissement. Un acouphène, même. Toutes les opinions ensemble, ça stagne. Ça divise. Je suis étourdi.

Plus de 10 ans sur les réseaux sociaux, ça use.

Paradoxalement, tout ce bruit me donne, en fait, une impression de solitude, de tristesse même. Quand tout le monde parle en même temps, moi, j’ai le ventre qui se serre.

Ça vous fait ça, vous ?

Bien sûr, la prise de parole est importante, mais l’écoute aussi. Et c’est personnellement ce qui m’a manqué le plus ces dernières années.

Or, grâce à la tournée de mon film Niagara un peu partout au Québec, j’ai pu sortir de Montréal ces dernières semaines pour aller à votre rencontre. Et vous écouter. C’était étrange de faire ça en parallèle d’une vraie campagne électorale, moi avec mon film, mon art, eux, avec leurs élections, leurs annonces.

J’en suis encore tout renversé. Ça m’a fait sentir moins seul dans tout le bruit ambiant. Ça m’a beaucoup nourri. Ça m’a confirmé aussi que je faisais peut-être la bonne chose de ma vie. C’est déjà beaucoup. Merci encore. Ça m’a aussi fait prendre conscience que j’avais une voix, que c’était un réel privilège et que j’allais tout faire pour l’utiliser de la bonne façon.

Une voix ! Quelle ironie, quand même, pour quelqu’un qui préfère le silence et le calme !

J’espère me servir de cette voix pour passer la parole à quelqu’un d’autre, pour trouver une résonance ailleurs, pour entamer une discussion, car je crois fermement qu’une idée en amène une autre.

J’ai fait pas mal de route pendant cette tournée et ça m’a permis de réfléchir. J’ai aussi eu la chance de faire un bout de chemin avec François Pérusse et Marcel Sabourin, deux êtres d’exception.

Sur la route, Marcel dessinait, nonchalamment. C’était beau à voir. Je lui ai fait part de mes craintes face aux changements auxquels nous assistons, notamment le recul de certains droits et libertés partout dans le monde. Il m’a simplement dit : « Ça, c’est à cause de notre différence d’âge. Nous autres, les vieux, on a tellement vu d’affaires, on vient tellement de loin, que ça ne pourra jamais être pire qu’avant. Oui, il y a peut-être un recul, mais ça ne peut être que momentané. On a fait trop de chemin pour revenir en arrière. »

Sages paroles d’un éternel optimiste qui m’ont beaucoup touché, et surtout, donné espoir.

Lors de la tournée, vous et moi, on s’est assis en silence dans une salle de cinéma et on a regardé un film. Réalisez-vous à quel point c’est beau, ces moments d’arrêt dans nos vies ?

Jamais je ne cesserai d’être fasciné par le cinéma parce qu’il nous permet collectivement de rêver, de réfléchir, de rire et d’être émus aussi. Ensemble. C’est précieux, particulièrement à notre époque.

Le processus pour faire un long métrage est extrêmement long, le terme le dit, et on le réalise seulement lorsqu’on en réalise un, un long métrage. Mon film, je l’ai vu et revu des centaines de fois. Alors, pendant qu’il était projeté, je dois vous avouer bien humblement que c’est plutôt vous que je regardais. Je vous ai regardés en train de « regarder un film ». Cette insouciance que vous aviez au visage, c’était formidable ! Je m’en souviendrai toute ma vie.

Quand tout le monde parle, moi, je fais maintenant comme pendant un film : je regarde les gens qui observent et qui écoutent. Ceux qui sont résilients et qui sont patients. Ceux qui rêvent encore. Je sais bien que ce sont ces gens-là qui auront un jour les réponses aux enjeux d’aujourd’hui.