« Les émissions de GES du Québec sont négligeables à l’échelle mondiale et les efforts que nous ferions pour les réduire n’auraient aucun impact significatif à l’échelle du globe. Ne devrions-nous pas mettre de la pression sur les gros émetteurs comme la Chine, les États-Unis ou l’Inde afin de faire de véritables gains ? »

Cette question revient dans nos boîtes courriel presque chaque fois que nous écrivons sur les changements climatiques.

Il est vrai que les émissions du Québec, en termes absolus, sont très faibles. Le Québec émet à peine 11 % des émissions du Canada, qui n’émet lui-même que 1,6 % des émissions mondiales. Les Québécois, collectivement, émettent donc moins de 0,17 % des émissions mondiales.

Faut-il en conclure qu’on doit se laver les mains de l’urgence climatique ? Pas du tout.

Ce qui devrait nous préoccuper, ce sont les émissions par habitant plutôt que les émissions totales. Face aux changements climatiques, il n’y a aucune raison morale justifiant qu’un Québécois se permette d’émettre plus de GES et fasse moins d’efforts qu’un Chinois ou un Américain simplement parce qu’il habite un pays moins peuplé.

Le premier ministre François Legault aime dire que le Québec a le meilleur bilan des 60 provinces et États américains en termes de GES par personne. C’est… presque vrai. Des États comme le Massachusetts, New York, le Vermont, le Maryland et la Californie ont des émissions par habitant comparables, sinon plus faibles, que celles du Québec.

Mais cette comparaison à deux pays offre un portrait très limité.

À environ 9,9 tonnes d’équivalent CO2 par habitant, les Québécois émettent plus de GES que les habitants de pays très peuplés comme la Chine (9 tonnes par habitant), l’Inde (2,5) ou l’Indonésie (3,7).

À 7,6 tonnes par habitant, les Européens font aussi mieux que nous. Et ils ont diminué leurs émissions de 40 % depuis 1990, contre à peine 3 % au Québec.

L’idée ici n’est pas de « culpabiliser » les Québécois, comme on l’entend souvent. Il s’agit simplement d’avoir un portrait juste. On dira que le Québec est caractérisé par les longues distances et un climat froid. C’est vrai, et cela influence notre consommation d’énergie et donc notre production de GES.

Un autre bémol à apporter vient des échanges commerciaux. Les avions, l’aluminium, le papier journal ou les porcs que nous exportons produisent des GES ici, mais sont consommés ailleurs. À l’inverse, les Québécois consomment nombre d’objets fabriqués en Chine, par exemple, ainsi que du pétrole produit ailleurs. Au total, on estime que si on comptait les émissions sur la base de la consommation plutôt que de la production, les émissions des ménages québécois seraient légèrement plus basses que ce que montre l’inventaire officiel.

Consultez l’étude « Empreinte carbone des ménages au Québec », de l’Institut de la statistique du Québec

On peut en conclure que le bilan des Québécois est, en réalité, un peu meilleur que ce qui est affiché. Mais le fait que nous exportions des GES veut aussi dire qu’en modifiant nos procédés, on pourrait diminuer les émissions des autres pays et donc jouer un plus grand rôle dans le monde.

De toute façon, peu importe la façon de calculer, chaque Québécois émet beaucoup plus de GES que le Terrien moyen. Gardons en tête que si chaque habitant de la Terre polluait autant que nous, la situation mondiale serait tout simplement catastrophique.

L’autre facteur à considérer est diplomatique. Les grandes conférences annuelles de l’ONU comme la COP27, qui aura lieu en novembre en Égypte, sont de vastes exercices de négociation.

Pour convaincre les gros émetteurs de la planète de réduire leurs émissions, il faut montrer qu’on fait le travail chez nous. Sinon, tout le monde se regardera en attendant que l’autre bouge. On voit mal François Legault interpeller Narendra Modi, premier ministre de l’Inde, et lui demander de baisser ses émissions si chaque Québécois émet quatre fois plus de GES qu’un Indien et que la province n’améliore pas son bilan.

Notons finalement que le protocole de Kyoto inclut le principe de « responsabilités communes, mais différenciées » envers le climat. Les pays développés, qui émettent des GES dans l’atmosphère depuis plus longtemps que les économies moins avancées, ont contribué davantage au problème. Ils ont également des moyens plus grands pour s’y attaquer.

En vertu de ce principe, le groupe Réseau action climat Canada a calculé l’an dernier que pour faire sa « juste part », le Québec devrait faire une réduction de 137 à 168 mégatonnes de CO2 d’ici 2030. Or, nous émettons actuellement autour de 84 mégatonnes.

Cela veut donc dire qu’on a rejeté tant de CO2 dans l’atmosphère au cours des décennies que notre dette envers le climat dépasse notre production annuelle.

Comment s’en sortir ? Réseau action climat propose que nous réduisions nos émissions de 65 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990 et que nous fassions le reste de l’effort en aidant les pays moins avancés à réduire les leurs.

C’est un immense contrat, sans doute inatteignable compte tenu du fait que nous n’avons diminué nos émissions que de 3 % depuis 1990.

L’analyse montre toutefois que le Québec est très loin d’en faire trop pour le climat. Et que rejeter nos responsabilités sur les autres États est un réflexe moralement indéfendable, qui ne ferait qu’encourager l’inaction des grands émetteurs.