Elle a joué dans Ramdam et Le chalet. Donné la réplique à Louis-José Houde. Tourné avec Xavier Dolan, Stéphane Lafleur et Anaïs Barbeau-Lavalette. Un parcours fort enviable. Et voilà que dans son CV déjà bien fourni, Julianne Côté vient d’ajouter un tout nouveau titre.

Celui de scénariste.

Son premier projet, De Pierre en fille (Tou.tv), dans lequel elle tient aussi le rôle principal, fut un succès. Le public a adoré. La critique aussi. Son passage de l’autre côté de la clôture fut aussi remarqué par ses collègues. Rares sont les interprètes qui osent se mettre en danger en écrivant un film ou une série télé. Encore moins à seulement 32 ans.

Elle s’installe sur la terrasse extérieure de la Station W, à l’ombre des anciennes usines Angus, à Montréal. La veille, dans le cadre du tournage d’une émission culinaire, on lui a servi quatre repas opulents. Donc ce matin, pas de croissant ni de chocolatine. Juste un café. Déca.

Je souhaitais la rencontrer pour savoir comment s’était déroulée son aventure derrière la caméra. L’écriture, le tournage, le lancement. L’accueil des pairs, aussi. Car le milieu artistique n’a pas toujours été accommodant avec ceux qui portent plusieurs chapeaux. Pensez à des chanteurs devenus acteurs. À des acteurs devenus animateurs. À des animateurs devenus chanteurs.

« Dans mon cas, ça s’est super bien passé », se réjouit-elle. Sa voix est douce. Son débit, rapide. Comme celui de Daphnée, qu’elle interprète dans De Pierre en fille. Son ton, toutefois, est plus affirmatif que celui de son personnage.

Le fait de travailler avec des amis que j’avais connus sur le tournage du Chalet, ça m’a aidée. Ça m’a insufflé beaucoup de confiance. Ça m’a dégagée d’un poids qu’ont les autres scénaristes lorsqu’ils écrivent. Quand les auteurs proposent une série, ils doivent vendre leur idée. Moi, je n’avais rien à prouver aux gens de la production. Ils connaissaient mon humour, la façon dont je m’exprime. L’écriture ne me stressait pas.

Julianne Côté

Comme nouvelle scénariste, a-t-elle ressenti le syndrome de l’imposteur ?

« Non. »

Même pas un peu ?

« Non. » Court silence. « Non, mais ça me dérange un peu, les catégorisations. Je ne comprends pas pourquoi, dans le milieu, c’est parfois mal vu [d’avoir plusieurs titres]. Si un humoriste joue dans un film, ça ne m’enlève rien. Je l’aime, Louis-José Houde. Je le trouve drôle. Je le trouve bon. Si j’avais une super belle voix, je ferais un album. »

— As-tu une belle voix ?

— Quand je dis que je chante mal, les gens me disent : ben là, arrête-moi ça. J’aime beaucoup chanter, sauf que je ne ferais pas un album. Je ne partirais pas en tournée. Je n’ai pas ça en moi. Mais je ne me suis jamais imposé de limites. C’est peut-être générationnel. Je suis entourée de gens qui font plusieurs choses. Mon amie Sarah-Jeanne Labrosse joue au cinéma. Elle anime. Elle participe à Révolution. Elle trippe, et elle est bonne dans tout ce qu’elle fait.

La surspécialisation a quand même la cote, lui fais-je remarquer. À l’école, dans les sports, sur le marché du travail, le discours du journaliste Malcolm Gladwell, selon qui on peut devenir un expert dans un domaine après 10 000 heures d’entraînement, est populaire.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Julianne Côté a pris le café avec notre chroniqueur Alexandre Pratt sur la terrasse extérieure de la Station W.

C’est correct aussi. Je peux comprendre qu’on ait une vocation dans la vie. Qu’on veuille travailler dans un seul créneau. Mais ce n’est pas moi.

Julianne Côté

Son souhait ? Poursuivre deux carrières de front. Une de comédienne, une d’autrice. « Sans le jeu, il me manquerait quelque chose. » Sauf qu’être actrice, ajoute-t-elle, c’est difficile. « Peu importe l’âge ou le sexe. Il y a plusieurs couches d’enjeux, comme les castings demandés, ou le fait de vieillir à l’écran… » Ce qui n’est pas son cas. Elle paraît facilement 10 ans plus jeune que son âge. La plupart des gens s’en réjouiraient. Or, pour obtenir certains rôles d’adulte, ça peut être un inconvénient.

« J’ai toujours été la trop jeune. J’ai l’air trop jeune. J’ai le visage que j’ai, je ne peux pas me battre contre ça. Alors maintenant, quand je me présente à une audition, je suis juste contente. Je me dis que si j’ai le rôle, ce sera une belle surprise. Sinon, j’ai des projets d’écriture qui me comblent. J’ai ce qu’il faut pour être heureuse cette année. »

« Je ne veux pas sonner comme du Fred Pellerin, enchaîne-t-elle. Mais je me sens un peu comme une raconteuse d’histoires. Je peux prendre n’importe quel véhicule. Pas juste le jeu. Ça peut maintenant passer par l’écriture, aussi. »

***

Lorsqu’elle a écrit De Pierre en fille, dont l’histoire est largement inspirée de la sienne, Julianne Côté n’avait pas d’ordre du jour politique ou social. Elle n’était pas encore consciente de son pouvoir de scénariste. De l’influence de ses mots. De la résonance des thèmes qu’elle allait aborder. L’homosexualité, par exemple. Le fait que le personnage soit en couple avec une autre femme n’était pas un acte militant.

Quand j’ai décidé que Daphnée serait lesbienne, je ne pensais pas [au message]. Dans ma tête, je voulais juste tourner avec mon amie Karelle [Tremblay]. Je croyais que j’allais être moins gênée de jouer un couple avec elle, plutôt qu’avec un gars que je ne connais pas.

Julianne Côté

C’est la réaction du public à sa série qui lui a fait réaliser la portée de ses écrits.

« J’ai reçu plein de témoignages. Beaucoup, beaucoup plus que lorsque je joue un rôle. Des gens m’ont parlé de la relation avec leur père. Des mères monoparentales m’ont confié se sentir comme Pierre, avec leurs enfants. C’est là que j’ai pris le pouls de l’effet que je peux produire. »

Un autre thème central de la série, c’est l’ambition. Daphnée en manque terriblement. Elle attend que le temps passe, avant d’aller travailler, le soir, dans un resto-bar. C’est d’ailleurs une source de conflit avec son père.

Julianne Côté ne partage pas ce trait de caractère avec son personnage. « J’admire les gens qui sont plein d’ambition. Je suis entourée d’ambitieux. J’aime ça. Ça me fouette. »

« Par contre, je ne suis pas une workaholic. Je suis très solitaire. Surtout depuis que j’écris. J’ai besoin de beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps libre, pendant lequel je n’ai rien à faire. Des journées de jachère, entre les journées d’écriture. […] S’il y avait une caméra chez moi, crois-moi, ça ne ferait pas un bon show de téléréalité [rires]. J’ai peut-être eu peur, plus jeune, de paraître paresseuse. Parce que je savais tellement ce que je voulais faire plus tard, je n’ai pas poussé pour de longues études. Mais je suis très bien dans ma peau face à cela. »

Et quelles sont ses propres ambitions, pour les prochaines années ?

Jouer. Écrire. Et émouvoir les gens.

« Quand je regarde un film, j’ai l’impression qu’une sorte de brèche lumineuse, que quelque chose vient te toucher. C’est ça, la beauté du jeu. Du cinéma. Du théâtre. C’est de vivre, dans ta journée, un moment auquel tu ne t’attendais pas. Je me dis que si je peux faire des petites brèches comme celles-là dans la vie des gens, ce serait un honneur et un privilège. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi

Ma relation avec le café a changé depuis deux ans. Avant, j’en buvais comme une maniaque. Si on allait bruncher, je pouvais boire sept cafés filtres. Sauf que la caféine peut me faire déclencher des crises de panique. Aujourd’hui, j’essaie de me limiter à deux par jour. Idéalement, décaféinés.

Mon endroit préféré

Le Bic. Je ne m’en remets jamais.

Des personnes que j’aimerais réunir autour d’une table, mortes ou vivantes

Ma grand-mère, qui est décédée pendant la COVID, et ma mère [morte il y a 30 ans]. Elles s’aimaient maladroitement. J’aimerais qu’on soit là, toutes les trois, et qu’on puisse se parler.

Un rôle que j’aurais aimé jouer

Celui de Nicole Kidman dans Birth. C’est vraiment le genre de rôle que je rêve de jouer. Tout en puissance, en rage, comme dans la scène de l’opéra.

Une série que j’aurais aimé écrire

Grande Ourse, saison 1. C’est la perfection.

Qui est Julianne Côté ?

  • Née le 7 mai 1990, à Québec
  • Ella a joué dans une vingtaine de séries télévisées et une dizaine de films, notamment Ramdam, Le chalet, Le ring, Tu dors Nicole et Ça sent la coupe.
  • Gagnante, en 2015, du prix Geneviève-Bujold, remis au meilleur espoir du cinéma québécois
  • De Pierre en fille est son premier scénario de série télévisée.