Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Stéphane Dompierre.

Tel un grand explorateur des siècles passés, j’ai récemment mis les pieds dans une contrée aride, peu visitée par l’homme. Modestement, dans le confort de mon bureau, j’ai lu le court essai Moi les hommes, je les déteste, de Pauline Harmange.

Le titre est volontairement provocateur et le livre a failli être interdit en France avant même sa publication. Curieusement, le premier tome de la série « Millénium » de Stieg Larsson, L’homme qui n’aimait pas les femmes, s’est vendu à des millions d’exemplaires et personne ne s’est arraché les yeux en hurlant à la vue du titre.

Si j’en avais surligné tous les passages pertinents et éclairants avec un marqueur jaune, mon exemplaire du livre de Pauline Harmange brillerait comme un soleil dès qu’on l’ouvre.

D’abord, elle ne dit pas aux femmes de prendre les armes et de partir en guerre contre les hommes. Elle suggère aux femmes de privilégier des relations épanouissantes, qui sont, souvent, celles qu’elles ont avec d’autres femmes. Après tout, c’est entre eux que les hommes s’épanouissent.

Beaucoup d’hommes s’admirent l’un l’autre, ne lisent que des livres écrits par des hommes, n’ont que des héros et des modèles masculins.

Il n’y a dans ce livre aucun appel à la haine, comme ne peuvent que l’imaginer ces quelques hommes outrés, qui n’en ont lu que le titre, mais qui déversent sur les réseaux sociaux leurs commentaires virulents contre son autrice. Ils l’accusent de vouloir créer une rupture entre les hommes et les femmes. Et ils sont trop aveuglés par leur colère pour saisir toute l’ironie de leur propos. Une femme donne son avis et des dizaines d’hommes s’unissent pour la ridiculiser, la faire taire, dans une grande violence qu’ils ne voient même plus. Qui tente d’exclure qui ?

Elle dit : « Les hommes s’arrangent entre eux sans se préoccuper de nous, faisons la même chose. » Ce que des hommes comprennent, c’est : « Elle est fière d’être misandre mais elle nous accuse d’être misogynes, ça ne tient pas debout. »

À cette vision des choses, elle réplique : « On ne peut pas comparer misandrie et misogynie, tout simplement parce que la première n’existe qu’en réaction à la seconde. [...] Si la misandrie a une cible, elle n’a pas de victimes. [...] On ne tue ni ne blesse personne, on n’empêche aucun homme d’avoir le métier et les passions qu’il veut, de s’habiller comme il veut, de marcher dans la rue à la nuit tombée, et de s’exprimer comme bon lui semble. [...] Notre misandrie fait peur aux hommes, parce qu’elle est le signe qu’ils vont devoir commencer à mériter notre attention. »

Elle souligne aussi la manie qu’ont certains hommes de recentrer les enjeux féministes sur eux. « Je suis de votre bord, j’ai rien fait, j’ai rien vu, not all men », disent-ils haut et fort, quand ils ne jouent pas carrément aux martyrs. « On peut plus rien dire », pleurent-ils sur les tribunes qui leur sont offertes. « On peut plus faire de blagues », disent ceux qui n’ont pas encore compris que leurs clichés sexistes d’une autre époque ne font plus rire grand monde.

« On peut même plus draguer », disent ceux qui ne comprennent rien au langage non verbal, qui harcèlent les femmes jusqu’à ce qu’elles se fâchent et répliquent, au risque de déclencher la colère de ces hommes. Eux ont le droit d’être en colère, mais ils n’accordent pas ce droit aux femmes.

L’homme l’ignore trop souvent : il n’a pas besoin d’être un agresseur pour avoir l’air d’en être un. Quand il n’écoute pas le « non » d’une femme et continue à lui faire des avances, à la suivre dans la rue, impossible pour elle de savoir si c’est « un bon gars qui fait juste une petite blague, allez, souris, je te mangerai pas » ou un violeur.

Alors pendant que les hommes se fâchent à propos d’un livre qu’ils n’ont pas lu et retournent ensuite à leurs occupations sans se remettre en question, les femmes sont dans l’action. Pauline Harmange, toujours : « On va chez le psy, on lit des livres qui nous apprennent comment nous organiser, comment être zen, comment jouir, on fait du sport et des régimes, on fait des relookings, de la chirurgie esthétique, on se fait coacher, on change de job, on se plie en quatre. Les femmes sont dans un processus de mise à jour permanent. »

C’est peut-être seulement lorsqu’il verra que les femmes l’ignorent que l’homme commencera à rehausser ses standards. Ça prend de la force et du courage pour reconnaître ses privilèges et tenter de devenir une meilleure personne mais, tiens, justement, ça tombe bien : l’homme n’est-il pas censé être un modèle de force et de courage ?

Moi les hommes, je les déteste

Moi les hommes, je les déteste

Éditions du Seuil

96 pages

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