Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Catherine Ethier.

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire médecin. J’en étais volcaniquement convaincue. Il n’y avait ni place pour le doute ni possibilité de m’envisager autrement. C’était ainsi. C’était sécuritaire. Médecin, vétérinaire, police (quel choix étrange), avocate, enseignante. La braquette de métiers envisageables était restreinte dans ma petite noix de jeune fille qui s’était accrochée à la première profession accessible dans le bac de jouets (un stéthoscope de plastique et le ravissement dans les yeux des adultes qui voyaient déjà grand pour moi).

Bon. Alors les quelques personnes qui me suivent constateront que je n’ai pas récemment ouvert de cabinet de médecin (le champ lexical de la santé, par contre, je maîtrise). Adolescente, j’incarnais un heureux mélange de porcelaine, d’aspiration à la perfection et de Pauline Martin, dont j’imitais à l’occasion, discrètement et sans prétention aucune, les Samedi de rire. J’étais de ces enfants convaincus qu’un échec scolaire menait directement en prison. Qu’une note médiocre me confinerait à la confection de portefeuilles au rythme des tambours ou qu’un résultat lousse anéantirait mes chances de devenir cette vague adulte avec une mallette de cuir.

La mallette de cuir n’a rien à voir avec la médecine. Mais lorsqu’on est enfant, on se projette parfois avec une mallette, pour se rassurer sur cet avenir terrifiant. Mes résultats scolaires étaient impeccables, un peu épeurants, même, quand j’y jette un œil avec mon regard d’adulte un peu usée. Terminer son latin avec une moyenne de 99 %, c’est super (j’étais super). Se lever la nuit pour réviser la théorie du basketball par crainte de ne pas cartonner en éducation physique, une habitude très saine. Mais derrière ces notes d’aspirante Comaneci (grande joueuse de basket) se cachait une jeune femme tétanisée par les attentes d’autrui. Par sa conception de la réussite. Aveuglée par l’excellence. L’excellence de rien. Juste les notes. La coquille. Le passeport vers le succès, n’importe lequel. La petite puff de Ventolin pour une amplitude pulmonaire avant le prochain examen.

Jamais, de tout mon parcours scolaire, du primaire au baccalauréat en biochimie (que je n’ai, THANK GOD, jamais terminé), je me suis questionnée sur qui j’étais vraiment. J’étais cette fille qui a de très bonnes notes. Fin.

Cette tragique vérité était mon unique guide, triste étalon de valeurs guidé par ce qu’on – j’en étais convaincue – attendait de moi. De tout le monde, en fait. Jamais ouvert de dépliant sur d’étranges avenues en arts et lettres, en philosophie ou en culture de tomates ancestrales. Mon avenir était tracé, assuré et admiré et oh ! que j’allais le suivre avec mes œillères de cuir sur lequel on avait peint un soleil celte (c’était tout de même les années 1990).

Plusieurs puffs de Ventolin me sont aujourd’hui nécessaires pour atteindre l’amplitude pulmonaire requise pour soupirer assez fort quand je regarde avec tendresse la jeune femme que j’étais. Une perdue de première. Une jeune femme tétanisée par l’avenir. Guidée par les aspirations d’autrui. La peur des autres. Ces fameuses portes qui s’ouvriraient à moi et dont je n’ai jamais même aperçu la sapristi de poignée.

Je me permets aujourd’hui ces mots parce que même si j’ai terminé le secondaire depuis 25 ans, je revisite chaque année la fin de l’année scolaire et les portraits de bals de vos petits avec vibrante nostalgie. Je repense à la jeune Cathie dans sa robe argentée, sciemment perdue à la puissance 10, mais qui fait mine de savoir où elle s’en va, ne s’accordant surtout pas la chance d’être frivole. La permission de ne pas savoir.

D’errer.

J’ai découvert qui j’étais vraiment vers l’âge de 33 ans. Bon. Ça ne m’est pas apparu au cœur de la nuit dans une villa baroque bercée par un rayon lunaire, il y a eu parcours. Parcours au cours duquel je me suis d’abord autorisée, à 20 ans, à quitter les sciences avec fracas en toute impulsivité (ainsi que mon emploi au Tim Hortons, le même jour. Grosse journée chez les Ethier). À compter de ce fébrile jour, je me suis permis de parker ma bécane. De m’arrêter sur le bord du chemin et, assurément, de pleurer un grand coup parce que je savais pas pantoute où j’étais rendue tout en constatant avec acuité que je haïssais ben ça, le vélo.

Et ça, c’est fantastique. De ne pas savoir. De frayer avec l’incertitude (quand on a le privilège de ne pas avoir de famille à nourrir et que notre tête est à l’heure de notre corps, évidemment). C’est cette permission, que j’aurais aimé me voir accorder plus tôt. Attention, à ce moment précis, je n’avais aucune idée du grand virage que j’entamais ni de la direction que je prendrais, habitée par rien d’autre que la peur panique et cette sinistre impression que mon avenir se déroulerait sous les ponts et surtout, l’urgence de me trouver une nouvelle profession. De nouveaux objectifs clairs qui aboutiraient à l’achat d’une mallette de cuir avant mes 30 ans. J’ai erré. Me suis improvisée conceptrice-rédactrice publicitaire. C’était bien, de se l’autoriser (j’ai tout haï). J’ai voyagé avec trois sous et beaucoup de naïveté. Travaillé dans un hôpital. J’ai dessiné. Écrit. Brillé de toute mon arrogance. Je me suis pété la gueule. Cent fois. Vécu tout autant d’échecs. Scolaires. Amoureux. Professionnels. Essuyé les refus (trop exotique pour l’époque, me disait-on).

Ces échecs, que je n’avais jamais vraiment embrassés dans mon parcours de jeune première à qui tout réussissait, m’ont certes sauvé la vie. J’ai échoué parce que je me suis autorisée à essayer des affaires. À partir à ma rencontre. À ne savoir absolument rien de rien. Et je vais vous le dire, j’étais bien cachée.

À tous ces jeunes (et moins jeunes) qui m’écrivent à l’occasion pour savoir où se procurer ma mappemonde, sachez que l’errance fut, à ce jour, ma plus grande alliée. Je vous la souhaite. Grande. Terrifiante et souveraine.

Laissons nos enfants prendre le temps d’avoir le temps. Il n’y a pas d’urgence. L’errance (et le luxe du temps), je vous le promets, sera exquise alliée.