La science nous dit depuis longtemps que les pandémies sont prévisibles. La question n’est pas : va-t-il y avoir une autre pandémie ? La question est : quand ? Et avec quel virus ? Ou quelle bactérie ? Pourtant, cette pandémie a pris l’humanité au dépourvu.

Je me revois, en janvier 2020, en train de lire avec plaisir et appréhension que l’on avait séquencé le virus causant l’épidémie qui sévissait à Wuhan à ce moment-là. Avec plaisir, car cette avancée était extrêmement rapide : identifier l’agent causal et connaître son génome un mois après l’apparition des cas permettrait de développer des outils diagnostiques rapidement, ce qui est essentiel pour la surveillance épidémiologique et le diagnostic des cas. Appréhension, parce que ce nouveau coronavirus avait le potentiel de devenir pandémique et réveillait les souvenirs du SRAS (syndrome respiratoire aigu) de 2003.

À partir de ce moment, tous les scientifiques, les gouvernements, les autorités de santé publique, les organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) auraient dû être sur un pied d’alerte. Cela implique de mettre à jour les plans de préparation à une pandémie, de s’assurer de l’achat d’équipement de protection individuelle, de développer la capacité d’effectuer les tests de dépistage, d’évaluer la capacité de faire le traçage de contacts, de jauger la capacité d’accueil des systèmes de santé, etc. Cette réponse a été inégale et a tardé dans plusieurs pays. L’OMS a eu beau lancer un cri d’alerte et convoquer les représentants régionaux, ce n’est que le 13 mars qu’elle a officiellement déclaré un état de pandémie mondiale. Or, en cas de pandémie, tout dépend de l’équation temps/réponse. Le rétrospectoscope nous dit que ce temps de réponse est trop long pour faire face efficacement à une pandémie. Pendant ce temps, l’épidémie s’était déjà propagée à plus de 122 pays sur cinq continents, et décimait déjà les foyers pour personnes âgées.

Cet état de fait s’est confirmé lors de la propagation de l’épidémie en Italie, qui a connu un taux de mortalité très élevé dès l’introduction du virus dans ce pays. En réalité, ce taux de mortalité élevé était associé au fait que la population touchée par le virus était particulièrement âgée. J’étais inquiète. Cette situation aurait dû nous mettre la puce à l’oreille quant au sort de nos propres personnes âgées, particulièrement celles vivant en milieu fermé, qui étaient plus à risque.

Si ce n’était pas suffisant pour nous alarmer, les premières éclosions touchant l’Amérique du Nord qui se sont produites dans des foyers pour personnes âgées, en particulier celle du Life Care Center à Kirkland, dans l’État de Washington aux États-Unis, dès février 2020, décimant 39 de ses résidants et plusieurs de ses employés, auraient dû nous en convaincre.

Pourtant, les centres pour aînés, qu’il s’agisse des centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), des résidences privées pour aînés (RPA), des nursing homes ou autres, n’ont pas fait l’objet d’une planification particulière au début de la pandémie. De plus, ces établissements étaient déjà aux prises avec une pénurie de personnel et des installations vétustes dans la majorité des cas. Alors qu’on préparait les établissements de soins actifs à recevoir les patients atteints de la COVID-19, ce qui était une excellente chose, peu d’attention était portée à la préparation des établissements de soins de longue durée. Nous connaissons tous les conséquences désastreuses de l’arrivée du virus dans ces lieux.

Bien entendu, il est difficile de prévoir dans des plans de préparation à une pandémie quelle population sera la plus touchée. Tout dépend de l’agent pathogène, de son mode de transmission, de ses facteurs de virulence. Ainsi, nos plans sont en général conçus pour une distribution uniforme de la maladie dans la population et ne nous préparent pas à des scénarios plus spécifiques. Toutefois, la nécessité d’envisager des scénarios divers et de s’y préparer était une leçon à retenir clairement indiquée dans le rapport sur la pandémie de H1N1 du gouvernement canadien⁠1.

Imaginons que le tropisme d’un nouveau virus virulent et pandémique soit d’attaquer les enfants d’âge scolaire en particulier : comment déploierions-nous nos efforts de santé publique ? Les écoles seraient touchées, tout comme les parents s’occupant de jeunes enfants, car ils ne pourraient plus aller travailler. Le système de santé aurait besoin de plus de ressources pédiatriques. Or, le nombre d’hôpitaux pour enfants est limité. Pourraient-ils faire face à la situation ?

Les plans ne peuvent pas tout prévoir, mais ils doivent au moins considérer plusieurs scénarios et des plans de contingence pour chacun de ceux-ci. Et quand la pandémie survient, les autorités doivent rapidement déterminer à quel scénario elles font face et quelles sont les personnes les plus à risque, et ce, afin de déployer les ressources de façon appropriée.

1. Agence de la santé publique du Canada, Leçons à retenir. Réponse de l’Agence de la santé publique du Canada et de Santé Canada à la grippe de H1N1

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Prêts pour une prochaine pandémie ?

Prêts pour une prochaine pandémie ?

Les Éditions La Presse, avril 2022

208 pages

Qui est Cécile Tremblay ?

La Dre Cécile Tremblay est microbiologiste et infectiologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), professeure au département de microbiologie, d’infectiologie et d’immunologie de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire Pfizer/Université de Montréal en recherche translationnelle sur le VIH. En tant que virologue, elle s’est rapidement intéressée à l’immunologie liée à la COVID-19.