L’Ukraine a saisi divers tribunaux internationaux à la suite de l’invasion russe. Quel rôle peuvent jouer la Cour internationale de justice, la Cour pénale internationale et la Cour européenne des droits de l’homme dans le conflit ?

Depuis plus de deux semaines, nous observons, incrédules, les images de la guerre en Ukraine. On se demande alors : Où est le droit ? Où est la justice ? Malgré l’escalade des hostilités, la lumière de la justice internationale point à l’horizon, au loin.

Quelques jours suivant le début du conflit, deux cours internationales situées à La Haye ont été saisies : la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI). Une troisième cour, régionale celle-là et sise à Strasbourg, la Cour européenne des droits de l’homme, a aussi été saisie. Quels sont les champs de compétences de ces cours ? Peuvent-elles avoir un impact sur le conflit en vue de faire cesser les hostilités ? Voyons-les une à une.

Cour internationale de justice

Deux jours après le début de l’offensive russe, l’Ukraine a déposé une requête devant la CIJ. Organe judiciaire principal des Nations unies, cette cour a commencé ses activités en 1946 afin de résoudre les différends entre les États en conformité avec le droit international. Les jugements de la CIJ sont contraignants pour les parties au litige et sans appel. Bien qu’il s’agisse d’une instance importante pour la résolution pacifique des différends internationaux, la CIJ n’a aucune compétence pour juger des allégations d’actes criminels commis par des individus ni de la responsabilité pénale individuelle.

La requête de l’Ukraine repose sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Mais attention : l’Ukraine allègue notamment que la Russie a « faussement affirmé que des actes de génocide avaient été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk ». Autrement dit, l’Ukraine soutient qu’une fausse allégation de génocide ne doit pas être utilisée pour justifier une attaque armée sur son territoire.

En introduisant sa requête devant la CIJ, l’Ukraine a demandé à la Cour des mesures conservatoires, c’est-à-dire des mesures en cas d’urgence, pour notamment ordonner à la Russie de « suspendre immédiatement les opérations militaires commencées le 24 février 2022 ». À la suite des audiences publiques du 7 mars, auxquelles la Russie n’a pas participé (elle a soumis une réponse écrite), la Cour a entamé son délibéré quant aux mesures conservatoires.

Advenant que la Cour ordonne les mesures demandées par l’Ukraine, celles-ci seront obligatoires, bien qu’aucun mécanisme d’exécution classique, telle une police internationale, ne puisse imposer le respect des ordonnances de la CIJ.

Cour pénale internationale

De l’autre côté de La Haye, la CPI a une compétence distincte de la CIJ. Elle ne cherche pas à établir la responsabilité des États (Russie ou Ukraine), mais à déterminer si des individus ont commis des crimes internationaux, en l’occurrence des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. La Russie et l’Ukraine ne sont pas des États parties au Statut de Rome, constitutif de la CPI. Toutefois, l’Ukraine a fait des déclarations, conformément à l’article 12(3) du Statut de Rome, où elle reconnaît ponctuellement la compétence de la Cour pour des crimes commis sur son territoire. Conséquemment, suivant le début de l’invasion russe, le procureur de la CPI, Karim A. A. Khan, a déclaré qu’il ouvrait une enquête relativement à l’Ukraine, déclaration soutenue par 40 États membres, dont le Canada.

Les procédures devant la CPI, visant à établir la culpabilité des accusés de crimes internationaux, peuvent être de longue durée. Il est donc trop tôt pour désigner des criminels de guerre, et ce, d’un côté comme de l’autre.

De plus, à l’instar de la CIJ, la CPI n’a pas de forces policières à sa disposition et doit compter sur la coopération des États membres pour, notamment, procéder à des arrestations, ce qui ne sera pas évident dans le cas de la Russie, qui n’est pas un État partie de la Cour.

Cour européenne des droits de l’homme

Enfin, à Strasbourg, l’Ukraine a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, créée par les États membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour assurer le respect de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). La Cour a récemment ordonné des mesures provisoires demandant à la Russie de « s’abstenir de toute attaque militaire contre les civils et les biens de caractère civil, notamment les lieux de résidence, les véhicules d’urgence et les autres bâtiments civils appelant une protection spéciale tels que les écoles et les hôpitaux, et d’assurer immédiatement la sécurité des établissements, du personnel et des véhicules d’urgence médicaux sur le territoire attaqué ou assiégé par les soldats russes ».

Il s’agit de mesures d’urgence, applicables lorsqu’il y a un risque imminent de dommages irréparables. En outre, la Cour a demandé à la Russie de l’informer des mesures prises en vue de respecter la Convention tout en alertant le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Il faut d’ailleurs préciser que, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe avait décidé, par un vote majoritaire, de suspendre les droits de représentation de la Russie, et qu’en date du 10 mars 2022, l’agence de presse russe a annoncé leur retrait de tous les organes du Conseil de l’Europe, incluant de la CEDH.

Quelles conséquences sur la guerre ?

Difficile à dire à court terme, car saisir des cours internationales et lancer ces procédures n’impliquent pas la cessation immédiate des hostilités. En revanche, ces procédures, mobilisées très rapidement dès les premières attaques, s’ajoutent à la pression internationale sur la Russie. Elles visent à convoquer la justice internationale dans une situation de violation des règles du droit international, et contribueront à attribuer, au moment opportun, les différentes responsabilités pour les actes illégaux commis lors de la guerre.

* Miriam Cohen a auparavant travaillé à la Cour internationale de justice et à la Cour pénale internationale à La Haye.

Plus près qu’on pense

Le Canada a joué un rôle central dans la constitution de la Cour pénale internationale, en rédigeant notamment la proposition finale avant que ne soit adopté le Statut de Rome en 1998. Depuis, le leadership canadien en faveur de la CPI ne cesse d’augmenter. Il est notamment le premier pays à adopter une loi de mise en œuvre du Statut de Rome en 2000, et deux juges canadiens ont siégé à la CPI.