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Si nous sommes sérieux, pourquoi ne pas rendre les transports en commun gratuits pour tous. Combien coûterait cette gratuité ?

Sylvain Millette

C’est une excellente question. D’abord, rappelons une chose : il n’y a rien de gratuit dans la vie. Mais cela n’empêche pas de revoir le financement des transports publics afin de les offrir gratuitement à la population. C’est ce que font déjà plusieurs villes européennes comme Dunkerque, en France, ou Tallinn, en Estonie.

Au Québec, des villes comme Candiac, La Prairie, Sainte-Julie et Chambly offrent un transport local gratuit à leurs citoyens. Aux États-Unis, Kansas City a entrepris d’éliminer la tarification des transports en commun et la ville de Boston y songe aussi.

Souvent, les projets débutent en offrant d’abord la gratuité aux gens à plus faibles revenus comme les étudiants, les personnes âgées ou les vétérans. C’est d’ailleurs une des promesses de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, d’offrir la gratuité aux personnes âgées d’ici 2023. Les transports en commun sont déjà gratuits pour les enfants de 11 ans et moins. Dans toutes les villes où la gratuité a été instaurée, il y a eu une augmentation de l’achalandage qui varie selon les villes et le taux d’utilisation préalable. Tous les experts s’entendent toutefois pour dire que la gratuité seule ne fait pas de miracles. Il faut aussi une offre intéressante.

Mais, nous le disions plus haut, il n’y a rien de gratuit en ce bas monde. Il faut donc remplacer la contribution des usagers par d’autres sources de revenus. Dans la grande région de Montréal, la part des usagers au budget de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) compte pour 29 %, soit autour de 968 millions dollars dans le budget de 2020.

Comment comblerait-on ce manque à gagner si on instaurait la gratuité ? Plusieurs formules sont à la disposition des gouvernements. Il y a les classiques : taxe sur le stationnement, sur l’essence, sur l’immatriculation. Et il y a les mesures plus audacieuses : contribution des entreprises au financement du transport public (en France, par exemple, toute entreprise de 11 employés et plus y contribue). Logique puisqu’elles bénéficient de la proximité et de l’efficacité des transports en commun pour attirer la main-d’œuvre.

Dans certaines villes, on taxe davantage les commerces qui sont situés le long d’une ligne de métro ou de tramway. On pourrait également envisager une taxe supplémentaire sur les VUS dont les ventes explosent année après année. Parmi d’autres sources de revenus identifiées par l’ARTM, il y a aussi le péage kilométrique sur les réseaux supérieurs pour les voitures. Avec l’évolution de l’informatique de données et l’intelligence artificielle, il serait absolument envisageable de moduler ces taxes selon les revenus ou le lieu de résidence des automobilistes.

Bref ce ne sont pas les idées qui manquent pour rendre les transports publics gratuits. C’est la volonté politique.

En terminant, rappelons que conduire une auto n’est pas un choix strictement individuel. C’est un mode de déplacement qui a des conséquences sur toute la collectivité. À titre d’exemple, il en coûtera cinq fois plus cher à l’ensemble des Québécois si un citoyen de Québec ou de Lévis décide de se déplacer en auto plutôt qu’en transports en commun, selon le chercheur Jean Dubé du Centre de recherche en aménagement et développement de l’Université Laval. Dans ses travaux, il a pris en considération tous les coûts indirects liés à la voiture : usure des routes, conséquences de la pollution, accidents de la route, etc. Or on prend rarement en considération tous les impacts de la voiture quand vient le temps d’estimer les investissements dans les transports publics.

Le Canada a choisi un jour de se doter d’un système de santé gratuit par souci d’équité sociale. Pourquoi ne pas réfléchir collectivement à des transports publics gratuits pour les mêmes raisons (les gens à plus faibles revenus consacrent une part importante de leur budget pour utiliser les transports publics), et pour réussir une transition écologique qui se fait de plus en plus pressante.