Je voulais parler à Marie Rinfret du travail qui l’attend, mais la protectrice du citoyen avait une nouvelle à annoncer : elle ne sollicitera pas de nouveau mandat. Elle prévoit quitter ses fonctions à l’arrivée du printemps.

La conversation n’a pas commencé comme prévu.

« Je suis nommée par un vote aux deux tiers des députés de l’Assemblée nationale. Cela me donne une indépendance. Je ne voulais pas demander un appui pour être renouvelée », dit-elle.

En d’autres mots : elle ne veut pas qu’on puisse laisser entendre qu’elle a essayé de plaire aux élus, que ce soit ceux du parti au pouvoir ou de l’opposition. Son indépendance, elle y tient jusqu’au bout.

Elle ajoute une autre raison : « Je vais aussi avoir 65 ans en mai... »

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Marie Rinfret, protectrice du citoyen, s’entretient avec notre journaliste par vidéoconférence.

L’avocate de formation me parle par vidéoconférence de sa maison de Beaumont, au sud de Québec. Il lui reste moins de deux mois à faire le trajet vers son bureau situé à quelques coins de rue de l’Assemblée nationale. À une saine distance du pouvoir.

Le Protecteur travaille pour les simples citoyens. Il défend ceux qui ont été négligés, maltraités ou oubliés par l’État. Et il veille aussi à l’intégrité des services publics.

Le Québec fut en 1968, sous Daniel Johnson père, la troisième province canadienne à se doter d’un tel ombudsman. Ses pouvoirs sont vastes. Comme un enquêteur, la protectrice peut contraindre des gens à parler et à produire des documents. Elle ne manque pas de boulot. Chaque année, elle reçoit des milliers de plaintes.

Ses enquêtes portent autant sur des cas très concrets que sur des échecs du système. Par exemple, son équipe s’est récemment penchée sur l’accès au traitement de la myotrophie spinale, sur la force physique utilisée contre les personnes souffrant d’une maladie mentale, sur les adolescents en famille d’accueil qui n’obtiennent plus leur allocation et, bien sûr, sur l’hécatombe de la première vague de la pandémie.

Ce rapport fut dévastateur. Contrairement à ce que le gouvernement caquiste a prétendu, aucune directive n’avait été donnée pour préparer les CHSLD. Il a fallu attendre la deuxième semaine d’avril 2020 pour que les mesures y soient renforcées. Comme la protectrice l’a résumé en novembre lors de la présentation de son rapport : « Les faits ne mentent pas... »

Craint-elle que ses recommandations tombent dans l’oubli ? « Étant donné l’ampleur des problèmes, j’ai promis de faire un suivi annuel. »

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Marie Rinfret en conversation avec Paul Journet

Mme Rinfret ne veut pas s’immiscer dans le débat partisan sur la pertinence de déclencher une commission d’enquête publique. Elle lance tout de même cette mise en garde : « Je ne voudrais pas qu’une enquête publique retarde les actions qu’il faut poser maintenant. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai exceptionnellement déposé un rapport préliminaire en décembre 2020. »

Elle rappelle que les soins à domicile sont insuffisants et inéquitables selon les régions. Des CISSS et CIUSS interprètent à leur façon les critères de Québec pour sabrer arbitrairement ces soins sur leur territoire.

Elle espère provoquer une réflexion plus vaste.

Comme société, quels soins veut-on offrir aux aînés, aux personnes en situation de handicap ou avec une déficience intellectuelle ? Elle est où, notre compassion ?

Marie Rinfret, protectrice du citoyen

On ne devient pas protectrice du citoyen par accident.

Avocate de formation, Marie Rinfret s’est engagée dès son début de carrière dans des causes sociales.

Après quelques années en pratique privée, elle s’implique de 1986 à 1989 au Conseil du statut de la femme. La réforme du droit familial commence alors à être appliquée. « On l’oublie, mais ça ne fait pas si longtemps que les femmes mariées peuvent garder leur nom de naissance. J’aimais veiller à ce que le droit suive l’évolution de la société. »

Elle se joint ensuite au ministère de la Justice où elle travaille sur des dossiers marquants comme celui de Chantal Daigle, dont le conjoint voulait l’empêcher de se faire avorter, et la crise d’Oka.

Après un passage à l’Office des professions, elle sera nommée à la commission sur l’équité salariale, qu’elle finira par présider de 2011 à 2015.

« Même si l’équité salariale était inscrite dans la Charte québécoise des droits, il fallait procéder par plainte. La Loi sur l’équité salariale [de 1996] nous a sortis de ce vieux régime », raconte-t-elle.

On vérifie désormais s’il y a des « discriminations systémiques fondées sur le sexe ».

Je lui fais remarquer qu’à l’époque, on ne se cassait pas la tête avec les débats de sémantique. On ne se demandait pas si les Québécois étaient plus sexistes que leurs voisins ou s’il existait un système intentionnellement sexiste. On a seulement agi...

Mme Rinfret ne mord pas à l’hameçon. Elle préfère s’en tenir aux faits en rappelant que cette loi n’a pas nui aux employeurs. « Au contraire, on les a aidés à améliorer leur politique de rémunération et à réaliser la valeur de tous leurs employés. On a avancé comme société. »

Être protectrice du citoyen, c’est passer son temps à documenter les histoires d’injustices et de ratés du système.

Un dossier en particulier l’a choquée ? Les enfants nés au Québec de parents immigrants sans statut, répond-elle.

« En 2017, ils n’étaient pas couverts par l’assurance maladie. Leurs parents n’avaient pas d’argent pour souscrire une assurance privée, alors ils ne recevaient pas de soins. Un enfant pouvait passer ses journées à la garderie avec un trouble auditif sans que ce soit su. J’ai tapé du pied auprès de la RAMQ et du ministère de la Santé. Heureusement, les parlementaires nous ont appuyés. »

L’histoire finit bien. Une loi a été adoptée à l’unanimité en juin dernier. Mais d’autres sujets ressemblent à un éternel recommencement.

Faute de lits, des CHSLD envoient des personnes en perte d’autonomie dans des établissements privés. En principe, ils en demeurent responsables. « Mais l’absence de suivi est saisissante », déplore Mme Rinfret. Ils sont parfois privés de soins.

On parle de manque de bains et de repas. Aussi de punaises de lit, de gens laissés dans leurs excréments et de prothèses dentaires oubliées. Ce n’est pas normal.

Marie Rinfret, protectrice du citoyen, au sujet de certaines résidences pour aînés

Pour chaque plainte, son équipe débarque sur le terrain sans avertissement, interroge les acteurs, enquête et dépose un rapport. Environ 45 % des signalements liés au système de santé sont fondés.

Ce seul enjeu suffirait à occuper son bureau. Elle doit toutefois s’intéresser à l’ensemble des services publics. Et depuis 2017, elle est aussi responsable de l’application de la loi sur les divulgations d’actes répréhensibles.

Cinq ans plus tard, le bilan est mitigé. Par exemple, l’agronome Louis Robert avait été congédié après avoir sonné l’alarme au sujet de l’influence du privé dans la recherche. Un rapport de Mme Rinfret avait conclu que la loi n’avait pas été respectée. « Il y a encore du travail à faire, reconnaît-elle. On doit mieux faire connaître la loi auprès de ceux qui sont censés la faire appliquer. »

Ce sera à son successeur d’y veiller.

Plusieurs CHSLD et résidences pour aînés se trouvent près de chez Mme Rinfret. Elle n’a pas de plan précis pour la suite, mais elle songe à s’y rendre faire du bénévolat.

Et d’autres projets de carrière ? « Je veux me consacrer à autre chose, mais je n’ai pas encore défini quoi. Et je vais m’occuper de mes proches aussi. De mes enfants et de mon petit-fils. »

Questionnaire sans filtre

Votre rituel du café : Je bois deux cafés au lait le matin. Quand je vais au bureau, je prends le premier chez nous et le deuxième à mon arrivée, entre 7 h et 8 h 30. Mais avec la pandémie, en télétravail, je prends les deux chez nous.

Une personne qui vous inspire : Claire L’Heureux-Dubé, ex-juge à la Cour suprême. Elle a toujours mis ses valeurs d’équité et d’accessibilité à la justice au service du droit. Elle a contribué de façon significative aux changements judiciaires et aux avancées sociales.

Des gens que vous voudriez inviter à souper : Hillary Clinton et Barack Obama. Ce sont des visionnaires chacun à leur façon. Ils ont brisé le plafond de verre, et on sent aujourd’hui le ressac de leur passage. J’aimerais parler avec eux pour comprendre comment ils ont vécu cette expérience.

Le dernier livre lu : L’amour harcelant, par Elena Ferrante. J’aime particulièrement cette autrice. Elle offre une rétrospective de l’évolution de la femme depuis les années 1930. Les dialogues sont particulièrement intéressants pour leur angle sociologique.

Qui est Marie Rinfret ?

Membre du Barreau et de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec.

Protectrice du citoyen depuis mars 2017.

Auparavant, elle a été entre autres présidente de la Commission de l’équité salariale, directrice des affaires juridiques de l’Ordre des professions et conseillère au ministère de la Justice du Québec.

Lauréate du prix Mérite Christine-Tourigny du Barreau en 2017 pour son engagement social et sa contribution à la cause des femmes.