De l’affaire Mike Ward à l’urgence sanitaire en passant par les projets de loi visant à encadrer les accommodements religieux et la laïcité, Louis-Philippe Lampron décortique sous l’angle des droits et libertés les controverses qui ont marqué l’actualité québécoise au cours des 10 dernières années.

Pour l’essentiel, s’intéresser aux droits et libertés de la personne revient à révéler/examiner les nombreux rapports de pouvoir qui existent au sein de la société et surtout, les limites de ce que les institutions dominantes peuvent imposer au sein d’une société de droit démocratique. Comme je l’explique dans mon texte intitulé « Garde-fous des sociétés démocratiques » : « … les droits et libertés de la personne, arrachés de haute lutte par les générations qui nous ont précédé·e·s, représentent toujours l’un des plus puissants contre-pouvoirs permettant d’empêcher les nombreuses “institutions de pouvoir” d’abuser de leurs prérogatives. »

Comme tout contre-pouvoir efficace, les droits et libertés de la personne font l’objet d’attaques incessantes depuis plusieurs décennies, au Québec comme ailleurs dans le monde. Le plus souvent, ces attaques prennent la forme d’une rhétorique d’illégitimisation ou de tentatives d’instrumentalisation de certaines des garanties qui composent le corpus des droits et libertés. Par exemple, lorsqu’on ne les accuse pas de servir exclusivement à empêcher les criminel·le·s d’aller en prison ou d’empêcher la poursuite d’intérêts collectifs au sein des sociétés contemporaines, on les qualifie d’inutiles ou carrément d’antidémocratiques. À l’inverse, plusieurs groupes et institutions tentent de faire avancer des agendas autoritaires ou contraires à l’esprit de ces textes inspirés de la Déclaration universelle de 1948 en ayant recours à une interprétation désincarnée de certains droits fondamentaux comme fondement de leurs positions, comme si ces derniers ne pouvaient souffrir aucune limite ou ne faisaient pas partie d’un ensemble plus large de garanties.

Ce « bruit » ininterrompu entourant les textes protégeant les droits et libertés de la personne, amplifié par le boombox stéroïdé des réseaux sociaux, peut évidemment faire en sorte qu’il devienne très difficile de départager le « vrai » du « faux » à leur sujet.

Trop longtemps alimentée (ou entretenue), cette confusion peut devenir passablement dangereuse en ce qu’elle est susceptible d’affaiblir l’adhésion de la population à ces textes qui, à terme, servent ses intérêts collectifs en fixant des balises susceptibles d’assurer la coexistence pacifique au sein des sociétés plurielles qui structurent la plupart des États du monde, dont le Québec. C’est globalement l’objectif de contribuer à la dissipation de ce « bruit ambiant » qui m’a motivé à intervenir périodiquement, par le truchement de courts textes, dans les débats publics concernant les droits et libertés fondamentaux depuis 2007.

Ces différentes interventions composent le présent recueil.

Bien entendu, il n’est pas possible de parler valablement de contre-pouvoirs, et certainement pas de leur effectivité, sans s’être d’abord interrogé·e sur la nature du pouvoir au sein d’une société démocratique qui, comme le Québec, a accepté le principe de la démocratie représentative. La définition usuelle du concept de « contre-pouvoir », soit « un pouvoir qui s’organise pour faire échec à une autorité établie⁠1 », est très intéressante en ce qu’elle introduit une distinction fondamentale entre « pouvoir » et « autorité ». Cette distinction, par ailleurs, coïncide parfaitement avec celle qu’Hannah Arendt opérait entre le « pouvoir » légitime au sein d’une société démocratique et la capacité qu’ont certaines institutions (ou personnes) publiques ou privées d’imposer leur volonté (ou pouvoir de contrainte) à un groupe :

Le pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir, et à agir de façon concertée. Le pouvoir n’est jamais une propriété individuelle ; il appartient à un groupe et continue de lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n’est pas divisé. Lorsque nous déclarons que quelqu’un est « au pouvoir », nous entendons par là qu’il a reçu d’un certain nombre de personnes le pouvoir d’agir en leur nom.

[…]

Pour reprendre un instant le langage conceptuel, nous dirons que le pouvoir, mais non la violence, est l’élément essentiel de toute forme de gouvernement. La violence, elle, est par nature instrumentale ; comme tous les instruments, elle doit toujours être dirigée et justifiée par les fins qu’elle entend servir. Ce qui exige ainsi une justification extérieure ne saurait représenter le principe constitutif essentiel⁠2.

Ainsi, si la source de la puissance publique (ou du pouvoir de l’État) au sein d’une société démocratique découle du fait qu’une majorité de la population (ou à tout le moins, une majorité de celles et ceux qui avaient le droit de voter et l’ont exercé) a mandaté les élu·e·s qui assurent les fonctions exécutives et législatives pour mener les affaires de ce même État, le contre-pouvoir que représentent les droits et libertés de la personne vise justement à garantir que ces mandataires de la population n’abusent pas de l’incident pouvoir de contrainte qui vient avec leur statut temporaire de dirigeant·e·s.

1. Le Petit Larousse illustré (1991), Paris, Librairie Larousse, p. 256

2. Arendt, Hannah (2002), Du mensonge à la violence : essais de politique contemporaine [1972], Paris, Pocket, p. 144-151

Maudites chartes ! 10 ans d’assauts contre la démocratie des droits et libertés

Maudites chartes ! 10 ans d’assauts contre la démocratie des droits et libertés

Somme toute (à paraître le 8 février)

240 pages

Qui est Louis-Philippe Lampron ?

Louis-Philippe Lampron est professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université Laval, chercheur régulier au Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ) et co-porte-parole du Groupe d’étude en droits et libertés de sa faculté (GEDEL). Il intervient régulièrement dans les médias.