François Létourneau a terminé en octobre le tournage de la deuxième saison de C’est comme ça que je t’aime qui nous ramènera en mars prochain, sur Tou.tv Extra, les personnages du gang de Sainte-Foy dans une nouvelle équipée criminelle peu vraisemblable, mais aussi divertissante que la première qui nous a relaté le dévastateur été meurtrier de 1974. L’auteur de la télésérie nous dévoile les motivations qui l’incitent à utiliser allègrement le ridicule, l’excessif et l’autodérision pour faire avancer une histoire.

D’entrée de jeu, je dois le confesser bien candidement, je suis un grand fan du travail de François Létourneau, comédien, mais aussi auteur d’histoires rocambolesques qui n’hésite jamais à se dessiner des rôles qui le font passer pour un moins que rien ou, la plupart du temps, pour un odieux personnage.

J’ai découvert sa dernière création, C’est comme ça que je t’aime, au tout début du grand confinement de mars 2020 quand je m’étais retrouvé seul dans le Bas-du-Fleuve, avec mon écran d’ordi comme unique source de divertissement.

J’ai écouté la série en rafale, sans retenir mes rires, pour la réécouter une seconde fois avant d’entreprendre au cours des semaines suivantes le visionnement des deux saisons de Série noire, que François Létourneau avait coécrites avec Jean-François Rivard, et de m’atteler enfin à celui des trois saisons de la série Les invincibles, coécrites elles aussi avec Jean-François Rivard, diffusées au milieu des années 2000 et que je n’avais jamais vues. Bref, des semaines de joyeux confinement absurde.

Et c’est la raison pour laquelle j’ai tenu à prendre un café avec François Létourneau, pour qu’il me raconte comment il arrive à construire de telles histoires dans lesquelles il suscite systématiquement le dénigrement tellement ses comportements sont grossiers.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

François Létourneau

Les gens jugent mes personnages plus sévèrement que moi-même. Je ne les vois pas comme ça. Oui, ils ont des défauts, j’aime ça qu’ils aient des défauts, j’aime grossir les traits de caractère. C’est vrai que les personnages que j’incarne sont excessifs. Je suis peut-être masochiste de me donner ces rôles-là, mais j’aime ça.

François Létourneau

Dans Les invincibles, François Létourneau campe le personnage de P-A, celui qui scellera un pacte tordu avec trois de ses amis bientôt trentenaires pour s’affranchir de la vie banale et prévisible dans laquelle ils s’engagent.

Dans Série noire, il est coscénariste d’une télésérie qui dérape totalement durant le processus de création. Enfin, dans C’est comme ça que je t’aime, il incarne Gaétan, attaché politique sans talent de Robert Bourassa, dont la vie et celle de son couple basculent dans la criminalité la plus débridée qui soit.

« Quand j’écris, je ne pense pas spécifiquement au personnage que je vais jouer. Dans C’est comme ça que je t’aime, le personnage principal, c’est Huguette, ma femme. J’ai écrit l’histoire autour d’elle. Je savais en partant qu’il y aurait deux couples, qu’il y aurait de l’infidélité et qu’elle voulait me tuer, moi son mari.

« Elle n’arrive pas à tuer son mari et c’est après l’écriture du premier épisode que j’ai vu qu’elle allait trouver sa vocation en devenant tueuse professionnelle. J’essaie de trouver une histoire intéressante, surprenante, et c’est l’histoire qui m’amène à développer les personnages », explique François Létourneau.

N’empêche, comme dans Les invincibles et dans Série noire, il me semble que c’est quand même lui qui incarne dans C’est comme ça que je t’aime le rôle le plus tordu et mesquin de toute la panoplie de personnages incongrus qui peuplent l’histoire.

« Je raconte une histoire et les personnages émergent et se définissent par leurs actions, mais j’aime beaucoup la comédie », souligne-t-il.

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François Létourneau

Autant dans la vie, je suis quelqu’un qui se soucie de ce que les gens vont penser de moi, autant dans mes histoires, j’aime pousser les défauts et les travers.

François Létourneau

Preuve qu’il ne cherche pas à tout prix à se démarquer par l’odieux des comportements des personnages qu’il incarne, François Létourneau confirme que dans la prochaine mouture de C’est comme ça que je t’aime, Gaétan s’adoucira et sera même capable d’altruisme.

« Dans la deuxième saison de C’est comme ça que je t’aime, Gaétan a fait de beaux progrès, il a cheminé, il est gentil avec sa femme. Vous allez voir. Mais il reste lui-même. Il a hérité d’un grand bureau et devient pas mal friendly avec Robert Bourassa à qui ça commence à taper sur les nerfs… », dévoile l'auteur-comédien.

François Létourneau a signé seul la télésérie C’est comme ça que je t’aime. Les deux premiers projets, Les invincibles et Série noire, il les avait coécrites avec son ami et réalisateur Jean-François Rivard. Il avait besoin de s’affranchir ?

« Je voulais faire l’histoire seul, mais je tenais à ce que Jean-François la réalise. On a beaucoup écrit ensemble, mais je voulais mieux contrôler l’histoire. Ç’a été dur au début parce que deux têtes valent mieux qu’une, mais en partant avec une base solide, la détresse des couples, je savais que je pouvais mener ce projet-là à terme », constate aujourd’hui François Létourneau.

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François Létourneau

Le processus d’écriture ne se limite pas à livrer un contexte, une quête et les répliques que s’échangeront les personnages, il se poursuit une fois le tournage des scènes terminé.

« Depuis le mois d’octobre, je participe aux séances de montage de la série, ça fait partie de la démarche. Les réalisateurs Robin Aubert et Jean-François Rivard [ils ont été deux pour la prochaine série à se partager les tournages] me montrent ce qu’ils ont fait et on prend ensemble des décisions importantes, comme de couper ou de modifier une scène.

« J’écris la série, j’y participe comme acteur, je donne mon opinion pendant le tournage et durant le montage. C’est comme habiller l’écriture. J’ai toujours fonctionné comme ça et Jean-François a toujours accepté que je participe », précise François Létourneau.

Si la détresse de deux couples désabusés de Sainte-Foy est la prémisse de C’est comme ça que je t’aime, le couple n’est-il pas pour autant un enjeu récurrent dans les créations que l’auteur a réalisées au cours des 20 dernières années ?

« Oui, c’est un peu la continuité que l’on retrouve dans mes téléséries. Le couple, l’amour, que ce soit via le pacte dans Les invincibles, la démarche sarcastique dans Série noire ou la criminalité dans C’est comme ça que je t’aime, le couple reste un thème central à mes histoires. »

Questionnaire sans filtre

Avez-vous toujours voulu être acteur et auteur ?

Non, au départ je voulais être journaliste, j’ai même fait un bac en sciences politiques, mais j’ai toujours fait du théâtre. J’ai donné la réplique à mon ami Patrice Robitaille pour son entrée au Conservatoire et j’ai décidé de m’inscrire pour y être moi aussi admis.

Écrivez-vous dans un café ou à la maison ?

J’ai un bureau à l’extérieur de la maison. J’ai pris cette décision quand j’ai eu mon fils pour faire une démarcation entre ma vie professionnelle et ma vie familiale. J’ai besoin de réfléchir et mon bureau est à 45 minutes de marche de la maison. Si je n’écris rien, je me dis : au moins je me suis rendu au bureau et j’ai marché une heure et demie.

Vos inspirations ?

Au théâtre, il y a des auteurs qui m’ont marqué, dont David Mamet et, plus loin, Harold Pinter. Le cinéma des frères Coen m’a évidemment inspiré. Plusieurs n’hésitent pas à comparer Série noire à Fargo parce que nous avons tourné l’hiver à l’extérieur. Ça coûte plus cher, mais c’est tellement plus proche de nous.

Y aura-t-il une troisième saison de C’est comme ça que je t’aime ?

J’ai envie de faire une troisième saison. Ce sera évidemment conditionnel au succès de la deuxième, mais j’ai encore du souffle, quelques idées, et je sens que je ne suis pas allé au bout.

Et le café ?

J’ai un rituel bien simple, je bois deux allongés le matin à la maison en lisant mon journal. Parfois j’en prends un troisième quand j’arrive au bureau pour démarrer ma journée de travail, mais ça se limite à ça. J’adore le café, mais jamais l’après-midi.

Qui est François Létourneau ?

Né à Sainte-Foy, en 1974

Diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 1999, il s’illustre dès 2000 avec la pièce Stampede, qu’il écrit et dans laquelle il joue.

Auteur d’une dizaine de pièces de théâtre, d’un film, Cheech, et de trois téléséries (dont deux en collaboration avec Jean-François Rivard)

L’auteur-comédien est marié, père d’un fils et vit à Montréal.