Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, quatre artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à David Goudreault.

Je vous offre le plus beau souhait reçu à l’aube d’une nouvelle année, un vieux souvenir sur un bout de papier que je chéris depuis 12 ans. Lors d’une soirée de poésie, entre deux amateurs couvrant le pauvre microphone de leurs postillons chargés de métaphores, l’animateur a invité chacun à écrire un vœu sur un bout de papier, puis à se lever pour aller l’offrir à un inconnu ; elle nous semble lointaine, mais elle a bien existé, cette folle époque où on crachait dans les micros, où l’on se promenait dans les bars et on allait serrer la main des inconnus, voire plus si affinités. Donc, de la magie des Fêtes plein les artères, le public inspiré s’est jeté sur les crayons et les Post-it.

Je présume que j’ai écrit un bout de poème, ou un aphorisme se voulant chargé d’esprit et de bon goût. Je ne me souviens plus à qui j’ai offert le fruit de mon maigre génie. En revanche, j’ai encore en mémoire le visage fatigué de ce grand gars venu vers moi. Je le croisais souvent au centre-ville, parfois accompagné de travailleurs de rue. À peine déglingué, la marginalité discrète, le regard un peu fuyant et triste, mais le sourire sincère.

Je te souhaite tout le bien que tu penses de moi.

Il n’est pas allé au micro, n’a déclamé aucun poème convenu sur les révolutions à faire. Je suis le seul privilégié à connaître l’œuvre conçue ce soir-là, mais je demeure convaincu qu’en une seule phrase, il a produit plus de poésie que tous les poètes rassemblés.

Je te souhaite tout le bien que tu penses de moi. Ce vœu est un magnifique appel à l’altérité, à la considération de l’autre sans verser dans la soumission ou la mièvre bienveillance. En d’autres mots : je ne sais pas si tu es capable d’empathie, mais ce que tu vois de beau en moi, je l’espère pour toi.

Ce bout de papier a déménagé avec moi. Je l’ai traîné dans mon portefeuille durant quelques années ; même cassé, j’étais riche. En ce moment, il est épinglé sur mon babillard, juste au-dessus de ma tête. Plus pertinent que jamais, j’ai envie de le crier à la face du monde, à son cœur éprouvé aussi. Et à toi.

Que l’on partage les mêmes idéaux, les mêmes combats, ou que l’on s’affronte pour des idées, je te souhaite une belle année.

Que tu flashes déjà les photos de ton troisième vaccin sur les réseaux sociaux ou que tu consacres tes soirées à colliger des informations pour nourrir ton argumentaire antivax, je te souhaite une belle année.

Que tu organises des manifs anticapitalistes ou écologistes sur des plateformes ultracapitalistes avec ton téléphone non seulement assemblé par des Bengalis, mais contenant des minerais rares africains, ou que tu me fourgues des forfaits téléphoniques abusifs avec des techniques de vente douteuses dans le seul but de t’enrichir à mes dépens, je te souhaite une belle année.

Que tu sois un artiste de la relève qui essaie d’émerger alors qu’on restreint l’accès aux salles ou que tu sois un diffuseur de spectacles qui pédale pour arriver à garder ses employés et préparer une hypothétique programmation pleine de vedettes établies qui écraseront les derniers espoirs de l’artiste de la relève susmentionné, je te souhaite une belle année.

Que tu assumes et célèbres tes contradictions en essayant humblement de t’améliorer ou que tu te gargarises à la moraline en donnant des leçons, bien juché sur des concepts alambiqués, je te souhaite une belle année.

Elle sera probablement dure et longue pour la plupart d’entre nous, mais on peut tout de même se l’embellir. Ne serait-ce qu’en souhaitant à l’autre le meilleur de soi, car soi, c’est un peu l’autre.

De légères dissemblances entre nos ADN nous distinguent du chimpanzé, moins de 1 % de nos génomes sont différents. Si notre acide désoxyribonucléique est si près du grand singe, imaginez à quel point il ressemble à celui de nos voisins, de nos garagistes, de nos infirmières et de nos contempteurs. Qu’ils soient des femmes, des trans, des hommes, des non-binaires, des Noirs, des Blancs, des Asiatiques ou des amateurs de karaoké. On se bataille sur tout, surtout pour des détails, et même si on peine parfois à se rassembler, on se ressemble.

La pandémie nous écœure et nous épuise tous et toutes. Gardons en tête notre condition humaine commune, notre époque ébranlée et tout ce qui pourrait nous lier quand viendra le temps de nous battre, de nous juger, de nous condamner et de nous diviser. Le monde est beau, mais déglingué, il a le visage fatigué, et le message qu’il nous tend relève davantage de l’ultimatum que du poème…

Les bouleversements climatiques, géopolitiques et sanitaires planent au-dessus de nos têtes. Ménageons nos relations et économisons nos forces pour les prochaines solidarités indispensables ; nous ne manquerons pas de luttes à mener ensemble dans les années à venir. En attendant, je me souhaite tout le bien que je pense de vous.