Le Canada venait de vaincre le Salvador 3-0 en match de la qualification de la prochaine Coupe du monde de soccer. Il était 21 h 30, début septembre. La plupart des spectateurs avaient déjà quitté le BMO Field de Toronto. Il ne restait que deux joueurs sur la pelouse, qui parcouraient la longueur du terrain en faisant des sprints.

Samuel Piette était l’un des volontaires pour cet entraînement par intervalles, dirigé par un préparateur physique. Je l’ai reconnu de loin grâce à sa chevelure blonde et à sa queue de cheval. Il n’était entré au jeu qu’à la 78e minute, comme remplaçant, et souhaitait rester affuté pour le prochain match du CF Montréal.

Après l’entraînement, il a offert son maillot à des partisans qui l’attendaient en bordure du terrain puis a enlacé son entraîneur-chef John Herdman, qui a éclaté de rire. Cette générosité, cet esprit de corps, cet humour, cette discipline et ce dévouement professionnel caractérisent le milieu de terrain québécois de 27 ans, l’un des piliers de l’équipe nationale depuis 10 ans.

Non seulement le Canada terminera 2021 au premier rang de son groupe de qualification pour la Coupe du monde, devant les États-Unis et le Mexique – qu’il a vaincu 2-1 à la mi-novembre à Edmonton, sous la neige –, mais en plus la sélection canadienne est la seule invaincue après huit matchs. Personne, à commencer par Samuel Piette, n’aurait pu imaginer un tel scénario il y a un an.

Aucune équipe nationale, ni celle du Brésil, de la France, de l’Argentine ou de l’Italie, n’a inscrit plus de buts cette année. C’est inespéré et inouï.

S’il termine dans le trio de tête de son groupe – il reste six matchs à disputer, de la fin janvier à la fin mars –, le Canada se qualifiera pour la deuxième Coupe du monde de son histoire (après celle de 1986 au Mexique), en novembre prochain au Qatar. La dernière fois que la sélection nationale s’est approchée aussi près du Graal du football mondial (en 1994), Samuel Piette venait de naître.

« Je ne sais pas si les gens se rendent compte à quel point ce serait un exploit », dit Piette, qui m’a donné rendez-vous à la fin novembre au café Tommy de la rue Notre-Dame, dans le Vieux-Montréal. « Même nous, on ne réalise pas à quel point on est proches de la Coupe du monde. On le sait que ce n’est pas fini et qu’il y a de gros matchs à venir. Ce n’est pas qu’on a peur de l’échapper. Il y a une confiance, une assurance qu’on n’avait pas auparavant. Il y a la croyance que c’est possible. Notre destin est entre nos mains. »

Une Coupe du monde, il en rêve depuis qu’il est petit. Mais comme pour tous les joueurs de soccer québécois, c’était un rêve qui relevait jusqu’à récemment davantage du fantasme. Un objectif irréalisable. « Pour moi, c’était quelque chose qu’on regardait à la télé », dit Piette, qui a des souvenirs vifs de la finale France-Italie de 2006. « Ce n’était pas un évènement auquel on pouvait participer. Quand on dit que les rêves deviennent des réalités, c’est pas mal ça ! »

L’équipe canadienne est soudée et compte, plus que jamais, sur des joueurs au talent exceptionnel.

Alphonso Davies, qui joue en club au Bayern Munich, est l’un des meilleurs défenseurs latéraux du monde. Jonathan David, attaquant à Lille, était au moment d’écrire ces lignes le meilleur buteur du championnat français, devant les superstars Mbappé, Neymar et Messi du PSG.

Samuel Piette n’avait que 17 ans lorsqu’il a été appelé pour la première fois en équipe nationale sénior. Rien ne le prédestinait à une carrière dans le soccer professionnel. Ses parents n’y connaissaient rien. Son père était plutôt un amateur de hockey et de baseball, des sports que le jeune Samuel n’a jamais pratiqués. Inspiré par des cousins qui habitaient dans sa rue à Le Gardeur, Samuel, enfant unique, a demandé à ses parents de l’inscrire au soccer.

Il avait 4 ans. Une passion est née. Il a gravi les échelons, du soccer local aux sélections régionales et aux équipes du Québec – où il a eu comme coach nul autre que Wilfried Nancy, l’entraîneur-chef du CF Montréal – jusqu’aux sélections nationales.

J’ai toujours joué un peu naïvement. Chaque fois, je me disais que j’avais atteint ma limite, que j’allais être retranché. Puis, il y avait un autre appel. J’avais l’impression que les autres joueurs s’y connaissaient plus que moi. Que j’étais moins bon, mais que je réussissais malgré tout à percer. Ça m’a aidé de progresser naïvement, sans trop me mettre de pression, en vivant le moment présent.

Samuel Piette

Cette humilité caractérise l’homme et le joueur qu’il est. Prêt à tout pour l’équipe. Un guerrier fiable et infatigable, qui comprend brillamment le jeu collectif et son rôle dans l’effectif. Le type de joueur que ses coéquipiers et entraîneurs apprécient énormément. À 15 ans, à une époque où l’Académie de l’Impact n’existait pas encore, Samuel Piette a pris une décision pour son avenir. Il est parti vivre en France, afin d’intégrer le centre de formation du FC Metz et de poursuivre son développement.

« Ça n’a pas été facile ! Je quittais mes amis du secondaire, ma blonde, mes parents. J’étais seul là-bas. Et je ne savais pas si ça allait marcher. C’était un gros risque à prendre. Mes parents m’ont toujours dit qu’il y avait une enveloppe sur la table de chevet avec de l’argent pour payer un billet d’avion si je décidais de rentrer. Ils m’ont toujours soutenu, sans mettre de pression. Je les remercie infiniment pour ça. Avec mon fils [qui a 16 mois], ce sera pareil. Zéro pression. S’il préfère danser le ballet plutôt que de jouer au soccer, ce sera son choix. »

Après deux années à Metz, où il a terminé son secondaire à distance, Samuel a passé deux saisons à Düsseldorf, alors en deuxième division allemande. L’un de ses bons amis du secondaire, Philippe Léger, qui est notamment chroniqueur au Journal de Montréal, est allé le voir jouer en Allemagne, avec son père, le sondeur Jean-Marc Léger. « Je n’avais pas de contrat avec Adidas pour mes souliers, alors la famille Léger a décidé de me commanditer ! »

Piette s’est ensuite retrouvé en Espagne dans différents clubs de troisième division : le Deportivo La Coruna B, le Racing Club de Ferrol et le CD Izarra. Il y était toujours, en 2017, lorsque plusieurs partisans de l’Impact de Montréal (j’en suis) l’ont découvert grâce à son jeu de récupération intense et physique avec la sélection canadienne au tournoi de la Gold Cup.

Après sept ans en Europe, l’Impact l’a convaincu de rentrer au pays.

Il a hésité avant d’accepter la proposition. « J’avais 22 ans. Mon objectif, c’était de jouer en Europe comme Patrice [Bernier] et de revenir à Montréal à 30 ans. Je ne regrette aucunement mon choix, autant pour ma carrière que pour ma vie personnelle. Mes amis sont ici. Ma fiancée m’a attendu à Montréal pendant un an quand j’étais en Espagne. Ma vie, c’est plus que le soccer. En Europe, tout tournait autour du soccer tout le temps. J’aime bien décrocher des fois ! »

Piette a eu l’occasion de quitter le CF Montréal pour une autre équipe de la MLS, qui lui offrait un meilleur salaire, mais il a préféré rester chez lui. Il se voit bien y jouer encore 10 ans. « Il n’y a pas juste l’argent dans la vie ! Terminer ma carrière ici, ce serait le meilleur des mondes. Je serais très heureux », dit celui qui est devenu, en cinq ans, un joueur-phare du club, dont il est l’un des trois capitaines, avec Kamal Miller, son coéquipier en équipe nationale, et l’ancien joueur de Tottenham Victor Wanyama.

Il a aussi été choisi parmi le « groupe de leaders » de la sélection canadienne, où il est l’un des rares joueurs québécois.

« Je ne suis pas la star de l’équipe, loin de là ! Mais j’ai une certaine expérience et j’essaie d’aider autant que je peux. Autant sur le terrain qu’à l’extérieur, on se bat pour de meilleures conditions. On voulait que nos matchs soient diffusés à la télévision. On a fait des démarches et c’est arrivé. » La victoire mémorable du Canada contre le Mexique, à Edmonton, a été vue par 3,5 millions de téléspectateurs.

À l’évidence, Samuel Piette est un meneur-né. « Je pense que j’ai les valeurs d’un Québécois, dit le favori des partisans montréalais. Je suis un travaillant qui ne lâche rien. C’est une fierté pour moi d’être au club. Et je suis content que les gens l’apprécient. Je pense que c’est important pour le club d’avoir des joueurs québécois. »

Après avoir remporté le championnat canadien face au Toronto FC en novembre, le CF Montréal affrontera Santos Laguna en huitièmes de finale de la Ligue des champions de la CONCACAF en février. « J’ai joué au-dessus de 100 matchs en MLS et plus de 130 matchs avec le club. J’en suis très fier. Évidemment, je ne serai jamais dans le palmarès des meilleurs buteurs, mais j’aimerais battre le record de matchs joués. J’aimerais voir mon nom à côté de celui de Patrice Bernier, qui est mon modèle pour son parcours et pour son professionnalisme, et qui a joué jusqu’à 38 ans. »

Il aimerait aussi bien sûr disputer, dans moins d’un an, une Coupe du monde avec le Canada. « Je suis un petit gars de Repentigny. C’est quoi, les chances ? »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Gros fan de café, deux ou trois par jour. Cortado lorsque possible, sinon, filtre/noir.

Mon dimanche matin idéal : Au chalet, avec ma petite famille, café à la main.

La dernière fois que j’ai pleuré : Un souper au resto avec ma fiancée, lors d’une conversation à propos du temps manqué/choses manquées avec mon garçon étant donné que j’étais loin d’eux pendant longtemps en 2021.

Ma devise favorite : « Don’t worry about criticism from people you wouldn’t seek advice from. »

Qui est Samuel Piette ?

Il est né le 12 novembre 1994 à Le Gardeur (devenu Repentigny). Il a joué à Repentigny et à Boisbriand avant de faire un stage d’un mois au centre de formation du FC Metz, en France, qu’il a intégré l’année suivante à l’âge de 15 ans. Il a participé à la Coupe du monde des moins de 17 ans pour le Canada, au Mexique, en 2011. L’année suivante, il est sélectionné dans l’Équipe du Canada sénior pour la première fois. En 2017, il devient un joueur de l’Impact de Montréal. En janvier 2020, il est capitaine de la sélection canadienne face à la Barbade et à l’Islande.