Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, quatre artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Serge Denoncourt. 

« ... que je suis fier québécois, que j’ai toujours été québécois, que je serai toujours québécois et je suis là avec mon mot à dire. Vous n’avez pas l’unanimité sur le Québec. On est plusieurs à représenter le Québec à la Chambre des communes. »

C’est ce qu’a affirmé Justin Trudeau lors du débat des chefs le 8 septembre dernier. Il répondait au chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui l’accusait de dire aux Québécois quoi faire et quoi penser. Je pense que M. Trudeau voulait dire « monopole » et pas « unanimité », mais cela n’est pas le sujet de mon texte.

C’est à partir de ce moment précis, cette affirmation enflammée de Justin Trudeau, que j’ai cessé d’écouter le débat pour me perdre dans mes pensées.

Je suis québécois aussi. Et fier de l’être. Moi aussi. Mais qu’est-ce que cela veut dire en 2021 : être québécois ?

En 1980, j’avais 18 ans et j’allais voter pour la première fois de ma vie et je savais très bien ce que cela voulait dire pour moi. J’étais issu d’un peuple d’irréductibles francophones qui voulait se battre pour sa langue, son identité, sa survie. J’étais fier d’être québécois et j’avais l’impression d’appartenir à une race à part qui pouvait, qui pourrait faire de grandes choses si on lui permettait d’être maître de sa culture et de son économie. Un peuple créatif, singulier et qui ne pouvait se comparer aux autres de par son identité unique. Mi-français, mi-américain (je parle du continent).

Et puis, j’ai voyagé. Pendant 40 ans, j’ai voyagé. Et j’ai appris à mon grand dam que nous n’existions pas. Que quand on me demandait d’où je venais, le Québec laissait mon interlocuteur un peu pantois.

— Canada ? Ah oui ? Vous parlez anglais ?

— Non. Français.

— Ah. Je croyais qu’on parlait anglais au Canada.

— Pas au Québec.

— J’adore les grands espaces. Vos Rocheuses.

— Nous, c’est Charlevoix, le Saint-Laurent et le rocher Percé.

— On dit que Vancouver est magnifique !

— Je ne sais pas. Je n’y suis jamais allé.

— J’ai une cousine à Toronto.

— Je vis à Montréal… Leonard Cohen ? … Céline ? …

On a tous une histoire, une anecdote sur les Français (râleurs et raffinés), les Italiens (charmeurs, menteurs et bons vivants), les Espagnols (qui soupent à minuit), les Japonais (froids et très polis), les Chinois (qui parlent fort et crachent dans la rue), les Anglais (réservés et ivres morts à 21 h), les Américains (sans culture, décomplexés et colonialistes)… Bien sûr, toutes ces affirmations tiennent plutôt du cliché, du lieu commun, voire de l’ignorance. Pourtant, tous ces peuples font résonner en nous une image, une émotion, aussi simpliste et fausse soit-elle.

Quand on dit « Québécois », il semble que peu d’images s’imposent dans la tête de nos amis étrangers. Puis soudain, les mots « sympathiques », « gentils » se font entendre. Flous. Sans caractère. Passe-partout.

Comme on dirait d’une lointaine cousine plutôt vilaine qu’elle a de beaux yeux parce qu’on n’a rien d’autre à dire.

Alors quand notre premier ministre a clamé être fier d’être québécois, j’ai pensé tout de suite que je l’étais aussi. Puis, j’ai pensé : mais fier de quoi exactement ?

Qui sommes-nous ? C’est quoi, le lieu commun, le cliché qui nous définirait le mieux ? Sympathiques ? Cela ne me décrit évidemment pas. Nous sommes résilients, je pense. Bon enfant, sans doute. Pas racistes, j’en suis sûr. Mais xénophobes, j’en suis certain. Pas toujours ouverts à l’autre. Au monde.

Créatifs, un peu gaulois, un peu anglo-saxons. Émotifs, latins. Naïfs, parfois. On parle français, mais on chante de plus en plus en anglais. Tolérants sur la sexualité des autres. Mais pas trop quand même.

J’aime les Québécois et les Québécoises. J’aime notre inventivité, nos rires et nos chialages. J’aime les longs soupers entre amis, lors de longues soirées froides, et les salles de théâtre pleines de gens curieux. Notre rapport aux saisons et notre gros bon sens dont ne parle jamais Richard Martineau. Notre étrange habitude de parler sans arrêt du temps qu’il fait ou qu’il fera. Aussi, notre insupportable manie de parler les uns par-dessus les autres. J’aime notre passion qui côtoie un certain je-m’en-foutisme.

Et pourtant, cela ne fait pas une identité forte.

Un cliché.

Un lieu commun.

Une évidence.

Le portrait du Québécois est flou, sans ligne définie. En manque de temps et d’histoire peut-être. Comme une volonté de passer inaperçu dans cette mer anglo-saxonne qui nous étrangle et de croire que si on ne fait pas de vagues, nous pourrons survivre sans déranger. Sans nous faire remarquer.

Je ne sais pas. Je réfléchis en écrivant. Et je n’arrive pas à savoir qui je suis. Clairement. Sans bémol. Sans flatterie.

C’est quoi, ça veut dire quoi exactement, « être québécois » ?

Il y a 40 ans, je le savais. Sans hésitation, sans nuance et sans demander la permission.

En 2021, quand j’entends Justin Trudeau affirmer qu’il est fier d’être québécois, j’aurais bien envie qu’il me dise de quoi il parle. De qui il parle. À qui il s’adresse. Et qui il veut convaincre. J’aimerais bien une réponse, cher Monsieur Trudeau, car moi, je ne sais plus.