(New York) Richard Hétu, correspondant de La Presse à New York depuis 1994, couvre cette année sa septième campagne présidentielle. Au cours des cinq prochaines semaines, il fouillera dans sa mémoire pour raconter des faits, petits et grands, dont il a été témoin pendant les courses précédentes.

Dans le lobby de l’hôtel où se trouvent les délégués de l’État d’Illinois à la convention démocrate de Boston, son nom est sur toutes les lèvres.

Je m’y suis pointé pour recueillir des réactions au lendemain d’un discours qui a électrisé cette grand-messe au terme de laquelle le sénateur du Massachusetts John Kerry sera investi en tant que candidat démocrate à l’élection présidentielle de 2004.

Avant même de pouvoir aborder le sujet avec quelqu’un, une journaliste afro-américaine, suivie d’un caméraman, me met un micro sous le nez.

« Je travaille pour Channel 2 à Chicago. Qu’avez-vous pensé du discours de Barack Obama? me demande-t-elle de but en blanc.

- Je crains de ne pas pouvoir vous aider, je suis moi-même journaliste, lui dis-je.

- D’où venez-vous?

- Du Canada.

- Parfait! Alors, qu’avez-vous pensé du discours de Barack Obama? »

Tout le monde en est venu à la même conclusion : Barack Obama, candidat au Sénat des États-Unis dans l’Illinois, a fait craquer la foule du Fleet Center et des millions de téléspectateurs en racontant son histoire unique. Né d’un père économiste du Kenya et d’une mère anthropologue du Kansas, élevé par ses grands-parents maternels en Hawaï, éduqué à Columbia et à Harvard, ce jeune avocat s’est dévoué à la cause des pauvres dans le South Side de Chicago avant de se lancer en politique.

Tribun exceptionnel, il a même réussi à conquérir des commentateurs conservateurs avec un vibrant appel à l’unité.

« Il n’y a pas une Amérique progressiste et une Amérique conservatrice – il y a les États-Unis d’Amérique. Il n’y a pas une Amérique noire et une Amérique blanche et une Amérique noire et une Amérique latino – il y a les États-Unis d’Amérique. Les pontifes de l’information aiment dépecer notre pays en États rouges et en États bleus. Mais j’ai des nouvelles pour eux aussi. Nous prions un Dieu puissant dans les États bleus et nous n’aimons pas que les agents fédéraux espionnent nos bibliothèques dans les États rouges. […] Il y a des patriotes qui ont été opposés à la guerre et des patriotes qui l’ont soutenue. Nous sommes un peuple, et nous prêtons tous serment au drapeau, nous défendons tous les États-Unis d’Amérique. »

Tout ça dit avec un sourire capable d’illuminer à lui seul le Fleet Center.

Le lendemain de ce discours, Barack Obama qualifiera de « flatteuse, mais stupide » toute supputation sur ses chances de devenir un jour le premier président noir des États-Unis. Il n’a même pas encore remporté sa première campagne au Sénat américain. Mais il réalise que sa vie vient de changer.

« Il y a une semaine, les gens m’appelaient Alabama et Yo Mama », dira-t-il lors d’une rencontre matinale avec les délégués et élus de l’État de New York.

Ce soir-là, je reçois un appel d’une des tantes de ma femme. Comme ses sœurs et sa nièce, elle a vu le jour dans le South Side de Chicago. À son ton, je me rends vite compte que j’ai monté dans son estime. Je finis par en comprendre la raison lorsqu’elle s’exclame : « Tu es passé aux nouvelles de Chicago! »