Richard Hétu, correspondant de La Presse à New York depuis 1994, couvre cette année sa septième campagne présidentielle. Au cours des cinq prochaines semaines, il fouillera dans sa mémoire pour raconter des faits, petits et grands, dont il a été témoin pendant les courses précédentes.

(New York) Avant l’explosion, mon immeuble, qui compte 27 étages, s’est mis à tanguer comme un bateau en mer. Assis à mon bureau, au 25e étage, je me demandais s’il tiendrait le coup.

Il était environ 21 h, le 29 octobre 2012. J’étais en train d’écrire un article pour La Presse sur les premiers assauts à New York de la supertempête Sandy, dont l’intensité semblait atteindre son paroxysme. Plus tôt dans la journée, une grue perchée au sommet d’une tour de 90 étages en construction s’était partiellement effondrée, en plein cœur de Manhattan. Dans Chelsea, la façade d’un édifice résidentiel s’était complètement détachée. Et dans mon quartier, East Village, les eaux de l’East River inondaient plusieurs rues, dont la mienne, et atteignaient presque le toit des voitures.

Puis une lueur bleue intense a illuminé le ciel. Un transformateur de la centrale électrique située à deux pâtés de maison de mon immeuble venait d’exploser. Quelques instants plus tard, la moitié de Manhattan était plongée dans le noir.

Il faudra plus d’une semaine avant que l’électricité ne soit rétablie dans mon quartier. Et il faudra plus d’un mois avant que le courant ne retourne dans mon immeuble, dont le système électrique avait subi des dégâts d’eau majeurs.

Comme un sans-abri, je me suis retrouvé dans la rue.

Ayant couvert toutes les campagnes présidentielles américaines depuis 1996, je ne me souviens pas d’avoir vécu une « surprise d’octobre » plus grande que celle provoquée par la supertempête Sandy. Dans le jargon politique américaine, l’expression fait référence à un événement intervenant dans le dernier mois d’une course à la Maison-Blanche et qui peut en influencer l’issue.

Cette surprise ne m’a pas seulement forcé à m’initier à une vie de nomade à New York pendant les huit dernières journées de la campagne présidentielle de 2012. Elle a aussi et surtout éclipsé pendant au moins 72 heures le duel entre Barack Obama et Mitt Romney, permettant au premier de se draper dans son rôle de commandant en chef et obligeant le second à interrompre ses critiques au moment où plusieurs États de la côte est, dont New York, la Virginie, le Maryland et surtout le New Jersey, constataient les dégâts et comptaient les décès causés par Sandy.

Le 30 octobre, le président démocrate dira : « À ce stade, je ne suis pas inquiet de l’impact sur l’élection. Je suis inquiet de l’impact sur les familles et je suis inquiet pour les secouristes. »

Huit années plus tard, il est difficile de ne pas se souvenir avec une certaine émotion des scènes où Barack Obama, de passage au New Jersey, enlace des rescapés de Sandy pour les consoler.

Même le gouverneur républicain de cet État, Chris Christie, ne pourra s’empêcher de vanter la sollicitude et la compassion de l’adversaire du candidat de son parti.

« Le président a été formidable. L’assistance de l’État fédéral a été décisive », déclarera-t-il devant les journalistes.

Mitt Romney, de son côté, dira plus tard que la supertempête Sandy a coupé net l’élan dont il croyait jouir à la fin d’une campagne où certains sondages nationaux le créditaient d’une avance de 1 ou 2 points de pourcentage.

Barack Obama aurait-il gagné sans Sandy?

Aurais-je pu constater pendant ce long mois de vie nomade provoqué par la supertempête l’extrême gentillesse de mes amis new-yorkais?

Peut-être pas…