Eileen Grubba travaillait aux côtés d'autres acteurs pendant le tournage d'une publicité lorsqu'elle a vu que le réalisateur avait remarqué qu'elle boîtait. Il a alors commencé à la placer à l'extérieur du cadre. Puis la situation a empiré.

Lors du tournage d'une scène à l'intérieur d'un autobus, le réalisateur a ordonné à l'actrice de se lever et de quitter son siège au milieu du véhicule, pour se placer à l'arrière, complètement à l'extérieur du cadre.

«Alors maintenant, on va demander aux personnes handicapées de s'asseoir à l'arrière de l'autobus? Super», a alors pensé Eileen Grubba, qui utilise un appareil orthopédique pour sa jambe en raison d'une blessure à la colonne vertébrale subie pendant son enfance.

Cette expérience blessante reflète celle vécue par plusieurs acteurs ayant un handicap, dont les progrès à Hollywood se font plus lentement que ceux d'autres artistes issus des minorités ayant demandé plus de visibilité.

«Le fait est qu'il s'agit du plus grand groupe de minorités aux États-Unis faisant aussi régulièrement face à de la discrimination dans l'industrie (du divertissement), et nous essayons de changer la donne», explique Jay Ruderman, qui dirige une fondation non partisane militant pour l'inclusion des personnes handicapées.

Certes, certaines personnes ayant un handicap connaissent du succès à la télévision. Parmi elles, on retrouve l'acteur en fauteuil roulant Daryl Mitchell, de NCIS: New Orleans, Micah Fowler, qui est atteint de paralysie cérébrale et qui tient un rôle dans Speechless, et l'acteur de petite taille Peter Dinklage, grande vedette de Game of Thrones, que l'on a aussi vu au cinéma dans Three Billboards Outside Ebbing, Missouri.

Des études indiquent cependant que leur présence demeure rare, en cette époque où beaucoup d'accent est mis sur l'importance de la diversité aux petit et grand écrans.

En chiffres

Plus de 56 millions de personnes - près de 20 pour cent de la population américaine - ont un handicap, selon un rapport du Bureau du recensement datant de 2012. Pourtant, sur 900 films sortis en salle entre 2007 et 2016, seuls 2,7 pour cent des personnages parlants avaient un handicap, indiquent des chercheurs de la USC Annenberg School for Communication and Journalism.

Des 20 personnages handicapés dénombrés dans les 10 émissions de télévision les plus populaires diffusées en 2016, un seul acteur (Daryl Mitchell de NCIS) a le handicap de son personnage, indique une étude de la Ruderman Family Foundation. Sur 21 séries bien connues diffusées sur des plateformes numériques, deux des 17 acteurs dont les personnages étaient handicapés l'étaient eux aussi dans la vraie vie.

Hollywood imite par ailleurs le marché de l'emploi dans son ensemble. En 2016, le Bureau of Labor Statistics a déterminé que le taux de chômage des personnes handicapées était plus de deux fois plus élevé que celui des non-handicapés (10,5 pour cent contre 4,6 pour cent).

La rareté des rôles

Lorsque des personnes ayant un handicap sont présentées au cinéma ou à la télévision, les personnages ont souvent un handicap qui n'est pas visible. Et un rôle présentant un handicap apparent est parfois attribué à un acteur ayant lui-même le handicap, mais parfois non. Dans Strong, le film sur un survivant du marathon de Boston amputé des deux jambes, le rôle est allé à Jake Gyllenhaal et le handicap a été créé par ordinateur.

Pour les acteurs handicapés, ce sont là d'autres rôles qu'ils ne réussissent pas à obtenir.

«Les personnes handicapées (auditionnent) pour des rôles et des personnages qui sont handicapés, mais elles n'auditionnent pas pour des personnages non handicapés», même si le handicap ne changerait en rien l'histoire, explique l'acteur Kurt Yaeger (Greg the Peg dans Sons of Anarchy). L'acteur, qui a perdu une jambe dans un accident de moto, affirme que son agilité avec une prothèse lui permet de «cacher» son handicap et d'augmenter ses chances d'obtenir du travail.

Scott Silveri, créateur et producteur exécutif de la série Speechless à ABC, rejette lui aussi l'idée que le public puisse être déconcerté de voir une personne avec une différence physique.

«Lorsque vous allez dans une banque et qu'un préposé boîte, êtes-vous confus?, demande-t-il. Qu'est-ce qui est si grave? Sortez à l'extérieur: il y a des béquilles, des cannes et des fauteuils roulants, et des gens qui les utilisent.»

Photo AFP

Scott Silveri fait partie des gens qui essaient de faire une différence. Après avoir travaillé sur des comédies de situation comme Friends, le scénariste et producteur s'est inspiré de sa propre vie afin de créer une série sur un jeune atteint de paralysie cérébrale et sa famille (le frère du producteur, qui en était atteint, est mort récemment à l'âge de 47 ans).

Moteurs de changement

Scott Silveri fait partie des gens qui essaient de faire une différence. Après avoir travaillé sur des comédies de situation comme Friends, le scénariste et producteur s'est inspiré de sa propre vie afin de créer une série sur un jeune atteint de paralysie cérébrale et sa famille (le frère du producteur, qui en était atteint, est mort récemment à l'âge de 47 ans).

«Je suis fier de notre émission et fier d'avoir fait de la lumière (sur la paralysie cérébrale)», a-t-il confié, remerciant le réseau d'avoir été ouvert à la série. En ce qui a trait au choix d'un acteur atteint de paralysie cérébrale pour le rôle, il affirme qu'il n'a jamais même pensé faire autrement.

Les craintes qu'un acteur handicapé augmente les coûts de production sont par ailleurs infondées, estime Danny Woodburn (Seinfeld), qui est atteint de nanisme et qui a cosigné le rapport de la Ruderman Foundation en 2016. Embaucher un acteur ayant un handicap coûte rarement plus cher pour un employeur, affirme-t-il, et lorsqu'un accommodement comme une rampe est nécessaire, il en coûte généralement moins de 500 $.

De petits pas

Certains membres de l'industrie affirment qu'insister sur l'embauche de personnes handicapées enlève la liberté de choisir l'acteur souhaité pour un rôle. D'autres estiment qu'il s'agit de rectitude politique qui va trop loin.

Le réalisateur Michael Mailer, fils du romancier Norman Mailer, a défendu le choix d'Alec Baldwin pour le rôle d'un homme quasi aveugle dans le film indépendant Blind, paru en 2017.

«Pour obtenir le feu vert pour un film indépendant, il faut réussir à attirer un acteur connu pour une fraction du salaire qu'offrirait un studio si on souhaite avoir une chance d'obtenir du financement, a écrit le cinéaste l'an dernier sur le site Deadline. Et bien que je sois certain qu'il existe plusieurs acteurs malvoyants talentueux, je n'en connais actuellement pas un seul suffisamment populaire pour permettre à un film, même au budget des plus modestes, d'être tourné.»

De leur côté, avant d'obtenir le feu vert pour leur série This Close sur la chaîne Sundance Now, les scénaristes et acteurs Shoshannah Stern et Josh Feldman ont dû travailler fort pour vendre leur histoire, sur deux amis qui, comme eux, sont malentendants.

«La première question que nous avions toujours était «Pourquoi ce personnage est-il sourd? Je ne comprends», raconte Josh Feldman. Mais dans la vraie vie, pourquoi une personne est-elle sourde et pourquoi une personne est-elle quoi que ce soit? L'expérience de la surdité fera partie de l'histoire, mais elle n'a pas à être au centre de l'histoire.»

Malgré les difficultés, certains entrevoient l'avenir avec optimisme.

«Je ne sais pas si ce sera dans un an, cinq ans, 10 ans, ou peut-être pas de notre vivant, avance Jay Ruderman. Mais éventuellement, nous verrons les acteurs faisant semblant d'avoir un handicap de la même façon que l'on verrait aujourd'hui un acteur dont le visage serait peint en noir.»