André Melançon, réalisateur du film culte La guerre des tuques, s'est éteint mardi après-midi à l'hôpital Mont-Sinaï à Montréal. Il avait 74 ans. Avec le départ d'un autre grand artiste en 2016, le milieu culturel vit une immense tristesse.

«André est parti doucement, sereinement, comme il l'avait souhaité», a confié à La Presse Andrée Lachapelle, sa conjointe depuis 22 ans. Le cinéaste est mort dans la plus grande dignité, entouré de ses proches. «Il a été conscient jusqu'à la toute fin, ajoute la comédienne. Il s'est assuré que je sois assez forte... Il avait la grandeur d'âme de toujours penser aux autres, de vouloir rassurer ses proches, même très malade.»

Le réalisateur a visiblement préparé sa sortie.

Cet été, il a fait ses adieux à plusieurs de ses camarades artistiques, dont Guylaine Tremblay, qu'il avait dirigée dans la version filmée de la pièce Albertine, en cinq temps de Michel Tremblay. «Il va me manquer», dit l'actrice. Elle se souvient «du grand artiste et du grand humain». Et souligne au passage «sa grande ouverture d'esprit et sa présence rassurante».

Un protecteur

Curieux, généreux, attentionné, ce grand gaillard de plus de six pieds, né en Abitibi, était le protecteur des interprètes. Adultes comme enfants. Le réalisateur Roger Cantin, qui a coscénarisé La guerre des tuques, se souvient que Melançon savait donner confiance aux enfants nerveux en audition. «Un garçon de la distribution avait zéro confiance en lui, dit Cantin. Il était dernier de classe avant le tournage. Après son expérience sous la direction d'André, il est devenu premier de classe!»

Il faut dire qu'avant de se lancer dans sa carrière cinématographique, Melançon a étudié en psychologie, puis travaillé comme psychoéducateur auprès de jeunes délinquants du centre Boscoville. Une expérience qu'il immortalisera sur pellicule avec son premier documentaire, en 1967, Le camp de Boscoville.

Interprète au cinéma (Taureau, Joyeux calvaire, Le côté obscur du coeur), André Melançon a aussi connu des années de gloire à la LNI. Denis Bouchard se souvient tendrement de son coach à la LNI, avec qui il a aussi écrit le film Rafales. «Ma première image d'André, c'est un gars protecteur. Un géant. À la LNI, quand on recevait des claques, c'est lui qui étendait ses bras pour nous protéger. Ça m'a beaucoup ému de le voir si chétif à la fin de sa vie, alors que je l'ai toujours connu comme un bûcheron, un grizzli.»

Si l'on se souvient surtout de son film culte, le premier de ses quatre longs métrages pour la série Contes pour tous, produite par Rock Demers, le cinéaste s'est souvent tourné vers le monde de l'enfance durant ses 40 ans de carrière.

Pour le directeur de la Cinémathèque québécoise, Marcel Jean, non seulement il savait filmer les enfants, mais «il les écoutait aussi». Selon l'historien en cinéma, Melançon voulait faire oeuvre utile à travers ses films. Dans les années 70, le réalisateur a tourné des documentaires pour l'Office national du film (ONF). En 1978, avec Les vrais perdants, il s'est mis totalement à l'écoute des enfants. «La grande force de son cinéma, c'est son réalisme, avance Marcel Jean. Il a su toucher le grand public en nous montrant des personnages d'enfants qui nous ressemblaient, à l'époque.»

Succès international

Le producteur Rock Demers souligne le rayonnement international, la carrière florissante des films de son ami. «Bach et Bottine a été vu par 40 millions de personnes en ex-URSS; 300 millions de personnes en Chine! À Paris, il a tenu l'affiche six mois sur les Champs-Élysées.»

Selon le producteur, le talent du réalisateur n'avait d'égal que sa modestie. «Que ce soit des gens de milieux très modestes, des artistes ou des intellectuels de haut niveau, il avait cette faculté phénoménale de se mettre au niveau de chacun immédiatement.»

«S'il y a une ligne directrice dans mes films, c'est qu'il vaut la peine de se parler», avait confié l'an dernier à La Presse le réalisateur de La guerre des tuques. «André a toujours voulu soulager la douleur humaine, dans l'action comme dans la création», dit aussi Mme Lachapelle.

En recevant son prix hommage à la Soirée des Jutra, en mars 2015, le réalisateur avait salué ses précurseurs, tout en s'adressant à la nouvelle génération de cinéastes: «Étonnez-nous, questionnez-nous, bousculez-nous. Faites-nous rire, faites-nous pleurer; c'est important. Faites-nous penser; c'est important. Faites-nous rêver; c'est essentiel.»

C'est son héritage.

- Avec André Duchesne, La Presse

Chronologie

1942: Naissance le 18 février à Rouyn-Noranda.

1958: Il a la piqûre pour le cinéma en voyant La Strada, chef-d'oeuvre de Federico Fellini.

1962: Psychoéducateur de formation, il travaille à l'institut de rééducation de Boscoville pendant cinq ans.

1967: Il réalise son premier documentaire, Le camp de Boscoville, lors d'un atelier de cinéma.

1972: Comme acteur, il joue dans le film Taureau de Clément Perron, aux côtés de Louise Portal.

1978: Il réalise Les vrais perdants, long métrage documentaire abordant le problème de l'éducation de l'enfant dans notre société de compétition.

1984: Il réalise La guerre des tuques d'après un scénario de Roger Cantin et de Danyèle Patenaude. Deux ans plus tard, il signe Bach et Bottine avec Raymond Legault et la toute jeune Mahée Paiement.

1997: Il réalise la minisérie Cher Olivier avec Benoît Brière dans le rôle d'Olivier Guimond.

2012: Il reçoit le prix Albert-Tessier du gouvernement du Québec, puis l'insigne d'officier de l'Ordre national en 2013.

2015: Ses pairs lui rendent hommage lors de la 17e Soirée des Jutra, au Monument-National.

photo fournie par l'ONF

André Melançon, réalisateur de Printemps fragiles.