Libérés des années de censure et armés de technologies inaccessibles il y a peu encore, une génération de documentaristes birmans se forme dans l'urgence, avide de montrer la réalité de leur pays, si longtemps coupé du monde.

Tous ont conscience d'être à un moment particulier de l'histoire de la Birmanie. Filmer, décrire, expliquer est crucial quelques années après la fin de la dictature militaire, avec l'arrivée de plus en plus d'investisseurs étrangers et alors que le monde aura début novembre le regard tourné vers les premières élections libres du pays depuis plus de 25 ans.

«Nous avons grandi parmi les films de propagande militaire et notre système d'éducation ne nous apprend qu'à répéter. Les documentaires peuvent être un moyen pour faire réfléchir les gens et permettre d'aborder certains sujets», confie Thu Thu Shein, jeune cinéaste à l'origine du premier festival birman de films, créé en 2011.

Et les jeunes cinéastes n'hésitent plus à aborder des sujets polémiques: la confiscation des terres, la communauté homosexuelle, les traditions menacées des minorités ethniques, les réfugiés... autant de réalités impossible à montrer jusqu'ici.

Deux sujets restent toutefois trop sensibles pour être librement abordés d'après les artistes: le poids de l'armée et la religion, dans un pays en proie à une montée du bouddhisme extrémiste.

Dans quelques semaines, un nouveau festival verra le jour. Son originalité: tous les documentaires doivent avoir été filmés à partir d'un téléphone portable.

«Beaucoup de gens ont un téléphone mobile et c'est une arme très puissante pour raconter. Il faut partir de la base pour montrer ce qu'est la Birmanie aujourd'hui», affirme Zaw Zaw Myo Lwin, à la tête d'une société de production et organisateur de ce nouvel événement culturel.

La censure, abolie en 2012 au moment de l'ouverture du pays, concernait la presse mais aussi les films, les chansons et même les contes de fées. Les contraintes étaient telles que le cinéma, autrefois florissant, s'est trouvé réduit à quelques documentaires à la gloire du pays ou de l'armée.

«Avant 2011, tenir une caméra en main était considéré comme un acte politique, la police venait immédiatement vous questionner», racontait il y a trois ans à Cannes, Midi Z, premier cinéaste birman à avoir réalisé un long métrage dans le pays.

«Tant de peines cachées»

Installée dans une petite rue poussiéreuse de Rangoun, la Yangon School film, seule école du genre du pays, a formé en dix ans 165 jeunes Birmans, produit plus de 180 documentaires. Et notamment le premier long format de ces dernières années, consacré aux conséquences de Nargis. Un cyclone qui a dévasté le pays en 2008 et fait près de 140 000 victimes alors que le gouvernement avait refusé toute aide humanitaire.

Interdit de diffusion dans le pays, le film a pu être présenté à l'époque dans des festivals internationaux sans que les noms des auteurs soient dévoilés. Deux étudiants qui avaient participé au tournage avaient néanmoins été contraints à l'exil.

«Nous devons raconter ce qui se passe. Et ce n'est pas trahir notre pays, contrairement à ce que disent certains», estime Nwaye Zar Che Soe, 36 ans, qui a quitté son travail dans une ONG pour se lancer dans le cinéma. «Il y a tant de problèmes cachés, de peine aussi, que les gens gardent pour eux», ajoute-t-elle.

Pour Lindsey Merrison, la fondatrice anglo-birmane de l'école, «il est important de favoriser une intelligentsia créatrice qui peut jouer un rôle crucial dans le développement du pays».

Dans son petit appartement, qui abrite aussi les locaux de la petite société de production qu'il a fondée avec trois amis, Lamin Oo finalise un documentaire pour le prochain festival LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels et transsexuels).

«Il y a beaucoup d'histoires qui n'ont pas encore été racontées en Birmanie», confirme le jeune cinéaste, cité en exemple par Barack Obama lors de sa dernière visite en Birmanie en 2014, pour son documentaire sur la confiscation des terres, récompensé dans de nombreux festivals.

Ce dernier regrette toutefois qu'il n'y ait pas «encore d'espace pour partager ces documentaires en dehors de festivals». «Nous n'avons pas de fonds et pas d'industrie pour nous soutenir, ce qui signifie que peu de gens peuvent voir aujourd'hui ce que nous faisons».