Lors du récent Festival international de Pékin, des vedettes comme Luc Besson ou Arnold Schwarzenegger se pressaient sur le tapis rouge, mais en coulisses, le cinéma chinois indépendant est drastiquement réprimé et ses promoteurs se disent harcelés par les autorités.

Pékin, soucieux de s'affirmer sur la scène culturelle mondiale, ne ménage pas sa peine pour promouvoir son industrie cinématographique, comme en témoignait fin avril l'organisation fastueuse du Festival international du film de Pékin (BIFF), ignoré de la presse étrangère, mais abondamment suivi par les médias d'État.

Ces derniers ont salué un jury «de première classe» présidé par le Français Luc Besson. Les vedettes habituelles des superproductions commerciales chinoises étaient elles aussi de la fête.

Mais dans le même temps, Pékin s'attache à étouffer de plus en plus sévèrement le cinéma indépendant, dont les oeuvres abordant des thèmes sensibles sont la plupart du temps bannies des salles chinoises.

Les professionnels font état d'une montée des pressions politiques et financières et même des violences destinées à les intimider.

«Le plus difficile est de déterminer où se situent les lignes rouges», soupire Vivian Qu, réalisatrice et productrice. «Je ne sais vraiment pas où l'on en est. Elles ne cessent de bouger».

«Alors que gonflait le marché du cinéma en Chine, des expressions comme ''cinéma d'auteur'' ou ''underground'' sont devenues beaucoup plus sensibles qu'auparavant», a-t-elle expliqué lors d'une récente table ronde.

La situation a empiré depuis l'arrivée au pouvoir du président Xi Jinping il y a deux ans, qui a ouvert la voie à une répression croissante des voix critiques du régime, ciblant militants, avocats, ONG et journalistes.

Témoin du climat actuel à Pékin: deux grands festivals musicaux ont été récemment annulés sur ordre des autorités, de même qu'une levée de fonds d'une ONG de défense des droits des homosexuels ou encore... une fête de la bière.

«Bon enfant»

Pourtant, il y a une décennie, les autorités avaient toléré, voire tacitement soutenu, les premiers évènements dédiés au cinéma d'auteur.

Le Festival chinois du film indépendant avait été lancé sans entraves en 2003 dans une bibliothèque de Kunming (sud-ouest).

«Nos débuts étaient plutôt bon enfant», raconte à l'AFP son organisateur, Zhang Xianmin, professeur à la prestigieuse Beijing Film Academy de Pékin.

Mais le festival est devenu rapidement l'objet de pressions à mesure qu'il se professionnalisait et attirait une attention accrue.

Basé plus récemment à Nankin, son édition 2012 a été annulée, avant qu'une drastique réduction de sa taille ne soit imposée l'année suivante. Le festival a pu avoir lieu en 2014, mais avec une publicité minimale.

M. Zhang explique avoir lui-même été harcelé par les autorités, qui ont restreint ses déplacements à l'étranger, ont enquêté sur ses comptes financiers, et «ont fait tout ce que vous pouvez imaginer» pour l'inciter à arrêter ses activités.

Le Festival du Film indépendant de Pékin a quant à lui été interdit l'an dernier et deux de ses organisateurs ont été arrêtés.

Des dizaines d'individus non identifiés empêchaient les réalisateurs et le public d'approcher le lieu où était prévu l'évènement --sans tapis rouge-- dans un lointain faubourg de la capitale chinoise.

«Valeurs socialistes»

Si les autorités ont resserré la censure et les restrictions visant les films indépendants, elles ont a contrario massivement dopé leurs soutiens aux productions approuvées par l'État.

Xi Jinping lui-même a montré la voie, enjoignant les artistes à «incarner les valeurs centrales du socialisme de façon vivante», à «brandir haut l'esprit chinois» et à déborder d'«énergie positive».

Bref, à escamoter les aspects les plus sombres de la société chinoise contemporaine, que les réalisateurs indépendants sont nombreux à décrire, sinon à dénoncer.

«Seuls les films considérés ''mainstream'' sont choisis pour BIFF», regrette l'actrice et réalisatrice Yang Lina. «Ce genre de cinéma n'a rien à voir avec ce que je fais».

Pour les Oscars, Pékin a sélectionné le très innocent Promeneur d'oiseaux pourtant réalisé par le Français Philippe Muyl.

Au détriment, notamment, de Black Coal, Thin Ice de Diao Yinan, un polar contemporain sombre et hypnotique produit par Vivian Qu, qui a décroché à Berlin le prestigieux Ours d'or.

«Ce n'est pas étonnant» que les autorités chinoises n'aient pas voulu l'envoyer aux Oscars, commente Mme Qu. «Ce n'est clairement pas leur film idéal pour représenter le pays».