Les caméras sont parties, mais les larmes continuent de couler au bord du golfe du Mexique, quatre ans après la marée noire provoquée par l'explosion de la plateforme pétrolière opérée par BP, Deepwater Horizon.

Dans The Great Invisible, un documentaire qui a gagné cette année le grand prix du jury du festival texan South By Southwest, la réalisatrice Margaret Brown braque les projecteurs sur les principales victimes de ce désastre environnemental et économique: des rescapés de la plateforme, des pêcheurs et ostréiculteurs dont l'activité a été dévastée, les enfants des communautés de Louisiane, Texas, Alabama, touchées par la marée noire...

«Je viens de l'Alabama, c'est très personnel pour moi», a-t-elle raconté dans un entretien à l'AFP. Quelques jours après l'explosion de Deepwater Horizon le 20 avril 2010 et le début de la marée noire, son père lui a envoyé des photos de leur maison de famille au bord de la mer, et de la plage souillée de goudron.

La réalisatrice a eu une réaction instinctive et irrépressible: elle a abandonné le projet de film sur lequel elle travaillait en Amérique du Sud pour réunir en un temps record des fonds et, en l'espace d'une semaine, former une équipe de tournage.

The Great Invisible, qui sort le 29 octobre aux États-Unis, montre des images rares de deux survivants de l'explosion, dont le chef mécanicien Doug Brown, qui avait réalisé pour sa famille quelques heures avant l'explosion un film amateur montrant la plateforme, diffusé ici pour la première fois.

Il est aujourd'hui invalide, hanté par la culpabilité d'avoir «travaillé pour BP» et de n'avoir pas su enrayer la catastrophe sur une plateforme qui était sensée être dernier cri.

Un autre rescapé de la plateforme, Stephen Stone, lutte lui contre le stress post-traumatique et la dépression.

Rien n'a changé

Tous deux attendent encore de toucher pleinement les indemnités qui leur avaient été promises.

Le géant pétrolier britannique BP a refusé de participer au film, tout comme les autres «majors» du pétrole (Chevron, Exxonmobil, Shell, etc).

BP, jugé responsable de «négligence grave» et de «faute délibérée» motivées par «la poursuite des profits», risque une amende qui pourrait atteindre 18 milliards de dollars, en plus de devoir alimenter un fonds d'indemnisation de 20 milliards de dollars.

Plus d'une centaine de milliers d'habitants ou commerces de Louisiane, Texas ou Alabama ont reçu des indemnités, mais des centaines de milliers d'autres se sont vu refuser toute indemnisation.

The Great Invisible rappelle que quatre ans après la pire marée noire de l'histoire américaine, la législation sur le forage en haute mer, qui atteint des records historiques, avec 3500 puits actifs, n'a pas été durcie par le Congrès.

Et BP n'a pas appris de ses erreurs. «Ils ont les pires normes de sécurité de toute l'industrie, ils font des offres inférieures à toutes les autres, c'est pour ça qu'ils gagnent des contrats», assure la réalisatrice.

«Ils vont jusqu'à essayer de récupérer des indemnités déjà accordées», insiste-t-elle.

Mais la force du film de Margaret Brown est de ne pas se contenter d'accabler BP.

«Je voulais faire un film qui alimente un débat sur l'énergie, qui montre comment nous sommes tous reliés à cette usine géante dans le Golfe», et «tous responsables», ajoute-t-elle.

Le documentaire montre notamment une conversation de cadres dirigeants pétroliers qui font valoir que le grand public devrait être reconnaissant à l'industrie pétrolière pour «l'essence à 1 dollar par litre» aux États-Unis.

Un conducteur de chalutier de Louisiane se moque aussi de la soif inconséquente de confort occidentale: «Tout le monde veut la clim'« et des gros 4x4.

«Cette civilisation ne durerait pas trois heures sans le pétrole», souligne un pêcheur dans le film.

Sur Rotten Tomatoes, The Great Invisible a reçu une note très positive de 86% de critiques favorables.