L'association chinoise des réalisateurs de cinéma, qui remet chaque année ses prix lors d'une soirée télévisée, a refusé mercredi de décerner deux récompenses, un acte inédit interprété comme une critique voilée de la censure.

Cette organisation professionnelle, théoriquement indépendante du pouvoir, n'a remis ni le prix du meilleur film ni celui du meilleur réalisateur lors d'un gala diffusé en direct sur la chaîne publique CCTV 6, ont rapporté les médias chinois.

«Le moment est venu pour nous de retrouver notre raison de faire des films et de remettre l'art au coeur de notre cinéma», a lancé le metteur en scène Feng Xiaogang, président du jury de cette soirée.

Même si Feng n'a fait aucune allusion directe à la censure, ces mots ont été compris par des observateurs indépendants et des internautes comme une dénonciation codée de la censure.

Selon eux, les réalisateurs ont voulu protester contre l'impossibilité de récompenser leur pair Jia Zhangke, dont le film A Touch of Sin est bloqué sous les fourches caudines de la puissante Administration d'État chinoise chargée du cinéma.

«C'est un acte politique, un geste très fort», a indiqué à l'AFP une spécialiste occidentale du cinéma chinois, ayant requis l'anonymat, rappelant que Feng a déjà pris position publiquement contre la censure.

À moins qu'un film donne une image particulièrement flatteuse de la Chine, il est rare qu'il évite les coups de ciseaux des services de propagande du Parti communiste.

Ce carcan entrave les ambitions du septième art chinois d'étendre son influence dans le monde.

Surnommé le «Spielberg chinois», Feng Xiaogang est devenu célèbre grâce à ses comédies populaires et a aussi dirigé des superproductions comme 1942, qui relate une effroyable famine qui s'était abattue sur le centre de la Chine.

Feng Xiaogang a regretté que, dans cette compétition face à Hollywood, les réalisateurs chinois aient été poussés dans un «courant commercial» qui a débouché sur une «dégradation du niveau artistique et de leur esprit humaniste».

«Il a simplement tiré le signal d'alarme auprès des réalisateurs chinois, qui ces dix dernières années ont seulement couru après le box-office, en négligeant le côté artistique», a affirmé à l'AFP Wang Xiaoshuai, l'un des neuf réalisateurs membres du jury.

Mais pour des internautes, les prix officiellement non décernés l'ont été - en creux - à Jia Zhangke. Ce dernier s'est fendu d'un microblogue énigmatique: «Félicitations aux vainqueurs. Marchons en avant».

«Feng Xiaogang défendant Jia Zhangke, c'est un peu Luc Besson qui défend Leos Carax», a résumé l'experte occidentale.