Avec Les amants passagers, le réalisateur espagnol Pedro Almodovar, ex-enfant terrible de la Movida, revient à la comédie de ses débuts, à la fois déjantée et kitsch, quitte à dérouter certains de ses aficionados.

Le 19e long métrage d'Almodovar se déroule essentiellement entre la classe affaires et la cabine de pilotage d'un avion, en passant par l'office des hôtesses de l'air.

Une panne technique empêche l'appareil qui au départ devait rallier Mexico de se poser. Il tourne donc en rond autour de l'Espagne.

Les personnages, tous hauts en couleur, croient leur dernière heure arrivée et passent leur temps à faire des aveux sur leur vie, fortement aidés par une boisson très alcoolisée et bourrée de mescaline que les hôtesses de l'air leur ont mitonnée, histoire d'aider tout ce beau monde à affronter le pire.

Il y a là une voyante provinciale encore vierge, une maîtresse femme tendance sadomaso qui tient tout le gratin politique, un financier véreux, un don juan, un tueur à gages, un couple de jeunes mariés épuisé et un équipage essentiellement homosexuel version Cage aux folles.

Pedro Almodovar raconte avoir voulu retrouver le ton de ses films des années 80, celle de la Movida, où l'Espagne vivait une liberté retrouvée, après les années sombres du franquisme.

Il dit aussi avoir eu envie de faire une comédie loufoque dans le pur style des années 1930 ou 1940 en y mettant «plein de personnages dans de petits espaces» comme un chef de cabine alcoolique incapable de mentir et beaucoup de promiscuité entre les hôtesses et les pilotes.

Le film aux couleurs kitsch à souhait enchaîne les scènes les plus loufoques comme celle où les trois hôtesses se livrent à une chorégraphie hallucinante sur I'm So Excited des Pointer Sisters, signée Blanca Li.

Les passagers de la classe affaires finissent par mettre en pratique dans tous les sens du terme l'expression s'envoyer en l'air, tandis que la classe économique dort après avoir avalé des anxiolytiques sur ordre des pilotes...

Métaphore

Les amants passagers, qui a réalisé un excellent démarrage en Espagne, n'y a cependant pas été très bien accueilli avec des critiques pour le moins très partagées.

Le côté provocateur n'a plus rien de transgressif pour certains, d'autres trouvent que le scénario ne tient pas la distance.

Mais d'autres encore saluent ce retour à la comédie après 20 ans de mélodrames et même d'horreur avec le dernier La piel que habito en 2011 avec Antonio Banderas. L'acteur espagnol ne fait cette fois qu'une apparition dans Les amants passagers, de même que Penélope Cruz.

Pedro Almodovar qualifie sa comédie d'«irréaliste et métaphorique». L'avion qui n'en finit pas de tourner en rond renvoie à «la société espagnole dirigée par le gouvernement actuel». Le pays «traverse une situation à risque et est forcé de faire un atterrissage d'urgence, sans savoir quand ni où il va avoir lieu», souligne le réalisateur.

«L'idée d'origine était de faire une comédie autour de la liberté sexuelle à travers les aventures croisées des trois hôtesses qui sont à l'image de cette liberté que nous avons connue en Espagne dans les années 80», déclare de son côté le frère du réalisateur, Agustin Almodovar, qui produit ses films, dans un entretien au Film français.

Selon lui, «le film est vraiment imprégné de ce qui se passe en Espagne. C'est une comédie avec une forte intensité dramatique, comme l'était en son temps Femmes au bord de la crise de nerfs qui s'appuyait sur le désespoir ou l'infidélité», dit-il encore.

Les amants passagers apparaît alors plus comme un hommage d'Almodovar à une époque révolue et qu'il a voulu d'autant plus faire revivre que l'avenir est incertain.