Sous les pavés de la crise, les idées fleurissent. Les jeunes cinéastes grecs retrouvent une créativité, tant dans leurs films que dans la manière de les réaliser, sans argent, et cartonnent dans les festivals du monde entier, à l'avant-garde d'une nouvelle génération.

«Mes acteurs ne sont pas payés, chaque membre de l'équipe de tournage est coproducteur du film, chacun possède un pourcentage du film», dit Ektoras Ligizos, 36 ans, réalisateur du film Boy Eating the Bird's Food.

«C'est la seule façon de pouvoir tourner pour 40 000 euros, un film dont le budget serait de 200 000», dit-il.

Comme nombre de films grecs, son long métrage, en compétition internationale au Festival de Salonique achevé dimanche, et qui montre le combat contre la faim d'un jeune homme dans les rues d'Athènes, s'est fait à la débrouille et sans salaires.

«Bien sûr c'est un film sur la crise, mais je voulais faire un film intime, je ne voulais pas expliquer la crise. Je voulais montrer quelqu'un de fier comme un Grec qui ne peut pas admettre ses faiblesses et n'arrive pas à demander de l'aide», explique le réalisateur.

Le résultat est un mélange improbable et décapant, alliant une image, parfois brouillonne d'un quasi-documentaire filmé caméra à l'épaule et sans budget, à un formalisme esthétisant à la Gus Van Sant.

Le film montre un jeune homme filmé de dos, marchant dans les rues d'Athènes, enfermé dans une solitude insondable, à la recherche de quelque chose à manger. Le jeune acteur, Yannis Papadopoulos, a été récompensé par le prix d'interprétation masculine du festival.

Constantina Voulgaris, 33 ans, réalisatrice de A.C.A.B. All Cats Are Brilliant, appartient à une dynastie du cinéma en Grèce - son père Pandelis est un des réalisateurs du Nouveau cinéma grec des années 70 - sa mère est scénariste, son frère cinéaste également.

Son film raconte l'histoire d'Electra qui appartient, comme la réalisatrice, au mouvement anarchiste, ses tiraillements entre un idéal politique de partage et d'humanisme et l'envie de s'intégrer dans la société normale de consommation.

«J'ai attendu trois ans pour pouvoir faire ce film, personne n'a été payé, nous verrons si nous gagnons un jour quelque chose, le travail des producteurs a été de trouver des caméras, des lieux pour déjeuner gratuitement etc.», dit la jeune femme.

Pour gagner sa vie, elle travaille comme assistante metteur en scène sur des émissions télévisées de cuisine.

Son film a été visionné par des responsables de grands festivals européens de Berlin, Rotterdam, Cannes notamment.

Alors que l'année 2012 a été endeuillée par la mort accidentelle du pape du cinéma héllène, Theo Angelopoulos, une génération de réalisateurs trentenaires s'est ainsi emparée du cinéma grec, dans la foulée des Giorgos Lanthimos (Canine) et Athina Rachel Tsangari (Attenberg), qui ont ouvert la voie il y a deux-trois ans, en accédant aux Oscars et au Festival de Venise, constate Yianna Sarri.

«En Argentine, au moment de la crise il y a dix ans, il y a eu la même chose, une floraison de talents», rappelle Mme Sarri, directrice du marché du film de Salonique, Agora.

«Il y a plus de films, et qui sont plus intéressants», ajoute Hélène Androutsopolou, qui a piloté la sélection des films grecs à Salonique.

Le Festival de court métrage de Drama, dans le nord du pays, a reçu cette année une avalanche de propositions de films, du jamais vu.

Pour Yianna Sarri, «tout ça est lié à la crise, les gens cherchent une solution». Cette éclosion de talents, «c'est la meilleure facette de la crise».

«La plupart sont amis entre eux, ils jouent dans les films les uns des autres», comme l'avaient fait leurs ainés du Nouveau cinéma grec au début des années 70, après la fin de la dictature militaire.

Le résultat est inégal. «Les films grecs ne sont pas tous bons», prévient Dimitri Eipides, président du festival, «mais il y a un intérêt dans le monde entier en ce moment».

«Cette année, la sélection grecque est surtout composée de films liés à la politique ou évoquant des positions antisociales», dit-il.

Derrière l'école radicale de Giorgos Lanthimos - parti vivre en Grande-Bretagne - le cinéma grec, pauvre et sans structures, a trouvé le moyen de se diversifier, du film puriste en noir et blanc Joy (Hara en grec), l'histoire d'une femme qui vole un enfant dans une maternité, à une comédie populaire et familiale comme Papadopoulos et fils, qui fait rire de la crise.

Le dernier opus d'Athina Rachel Tsangari, La Capsule, film expérimental, est une exploration esthétique et sensible de la féminité qui n'a aucun lien avec la crise.

Pour l'an prochain, trois films «prometteurs» en projet sont déjà suivis de près par les grands festivals, ils s'appellent Wild Duck de Yannnis Skahidis, Luton de Michalis Konstandatos et Septembre de Penny Panayotopoulou.

Autre conséquence, et depuis une loi en 2010 permettant de nouveaux moyens de financement, la professionalisation à marche forcée du secteur.

«Avant, le travail d'un producteur en Grèce se résumait à demander une subvention à l'État et se débrouiller avec», dit Constantina Voulgaris. Une époque révolue.